La marine italienne et le porte-avions, première partie : un potentiel clairement identifié, mais pas une priorité 1912 - 1926
Article posté le 26-03-2024 dans la catégorie
Histoire et Technologie
Article mis à jour le : 28-03-2024
L'histoire de l'aviation intégrée dans la marine italienne a commencé dès la première guerre mondiale. Retour sur les débuts compliqués de l'aéronavale italienne.
L’Histoire a retenu que seules les grandes puissances navales – États-Unis, Angleterre et Japon – de la Seconde Guerre Mondiale assimilèrent tôt et facilement l’intérêt du porte-avions, intérêt concrétisé par le grand nombre de navires construits par ces pays durant l'entre-deux guerres.
En réalité, de nombreuses autres marines ont également compris le potentiel de cet outil et la nécessité d’en être équipé pour maintenir une crédibilité, ne serait-ce que pour la défense nationale. Au lendemain de la première guerre mondiale, c’est ainsi une dizaine de nations qui planchent sur le sujet, soit pour une construction nationale soit pour de l'achat à l'étranger. Dans les faits, seules 4 d’entre-elles franchiront le pas : Etats-Unis, Angleterre, Japon, et dans une toute petite mesure, la France. Les autres jetteront l’éponge, pour le moment, pour diverses raisons.
Parmi ces pays, l’Italie. Dans beaucoup d’ouvrages, la Regia Marina y est décrite comme ne s’étant intéressé au sujet qu’une fois le couteau sous la gorge après les revers de 1940-41. En réalité, nous allons le voir dans cet article, les marins et aviateurs transalpins avait bien étudié la question au cours des 25 années précédentes, mais pour toutes sortes de raison, ils n’avaient pu voir leurs rêves se réaliser.
La marine italienne avait pourtant toujours porté un intérêt certain à l’arme aérienne. La Regia Marina disposait en effet de son propre corps d’armée de l’air, la Sezione Idro Areoplani (Section des hydravions) étant opérationnelle dès 1912, basée à Venise. L’année suivante, l’Amiral Thaon Di Revel ouvrit une école de formation aux pilotes nommée Scuola Di Aviazione Marina, dédiée à l’armée de l’air rattachée à la marine. La même année, le capitaine Alessandro Guidoni fit une belle démonstration des capacités de cette nouvelle arme en réalisant des torpillages depuis des hydravions dans le port de La Spezia. Cependant, les capacités limitées des appareils et les caractéristiques des torpilles rendirent ces essais finalement peu conclusifs. Ce n'était pas suffisant pour décourager les aventureux, et on imaginait déjà des bâtiments capables de porter des avions.
Alessandro Guidoni poussa pour la conversion de plusieurs bâtiments léger en navires hybrides pouvant embarque des avions. Ci-dessus une proposition de conversion d'un croiseur de type Piemonte. Dessin reproduit avec l'aimable autorisation de TZoli.
Néanmoins, deux ans plus tard le pays entrait dans la Grande Guerre, et comme tous les belligérants, l’Italie comprit rapidement l’intérêt de pousser le développement de l’arme aérienne, son utilité dans la lutte anti-sous-marine et la reconnaissance étant non négligeable. Afin de faciliter cet essor et son utilisation, elle fit transformer deux navires en bâtiment de soutien, le Elba et le Quarto. De plus, 3 bases furent ouvertes, respectivement à Venise, La Spezia et Tarente. Cependant, ce développement fut pris en main rapidement par le ministère de la guerre, déchargeant la marine de ce rôle, au regret de cette dernière. Mais cette dissociation ne dura qu’un an, un manque de coopération et d’efficacité mettant en évidence le non-sens de ce changement d’organisation, et ainsi la marine récupéra ce rôle, pouvant à présent continuer plus librement ses essais de torpillages et d’attaques de navires. Ainsi, en 1918, une escadre d’hydravions est créée avec pour rôle l’attaque de bâtiment en mer mais, et c’est notable, également celles d’unités à l’ancrage dans des ports, s’inspirant de l’attaque de Cuxhaven réalisée par 7 hydravions britanniques le 24 décembre 1914.
Le porte-hydravions Elba, un ancien croiseur de 2700 tonnes transformé, ici le 4 juin 1914.
Quand le conflit se terminait, la marine italienne comptait 35 bases, 552 hydravions, 86 avions pour 227 pilotes, des chiffres en constante augmentation. L’expérience opérationnelle obtenue était considérable : ses forces ont réalisé 2177 vols de bombardements, 3467 vols de reconnaissance, 9433 sorties en mer dans le but d’attaquer un adversaire, 10385 missions de surveillance anti-sous-marine et 1107 vols de protections. 392 appareils furent perdus (dont 40 au combat), et 112 membres d’équipages périrent. En parallèle, témoignage de l’évolution rapide des technologies, si 1630 avions et hydravions furent produits, 893 finirent par être retirés du service car ils ne pouvaient plus répondre aux besoins. Ce retour d'expérience stimulait l'imagination et ainsi les mêmes personnes qu'avant guerre proposaient déjà de nouveaux projets.
Alessandro Guidoni imagina un porte-avions bi-coque.
Mais nous étions en 1920, et tout d'abord, l’Italie devait dresser un bilan de sa situation. Comme les autres belligérants du continent, le conflit a coûté très cher sous tous les aspects, humain d’abord (650 000 morts) et financier. Le pays était dans une situation économique précaire. D’un point de vue stratégique, le pays se sentait floué et injustement récompensé au regard de l’effort de guerre, de sa contribution à la victoire. Et un nouvel ennemi fut rapidement identifié : la France, coupable de ne pas avoir respecté sa parole et également de tenter d’isoler l’Italie via des alliances dans les balkans.
D’un point de vue doctrinal, l’armée italienne avait beaucoup appris et les techniques de guerre modernes étaient claires et les besoins en outils adaptés bien identifiés. Mais à l’instar de sa voisine, la situation financière et des luttes idéologiques allaient compliquer la capitalisation de cet apprentissage. La Regia Marina rêvait d’emboiter le pas à la Royal Navy en continuant le développement de sa flotte cuirassés et de concevoir une flotte embarquée. La réalité allait être plus compliquée…
En 1920 donc, la situation, pour les grosses unités, était la suivante :
- 5 cuirassés modernes en service, le Dante Alighieri, seule unité de sa classe, le Conte Di Cavour et le Guilio Cesare (Classe Conte Di Cavour), l’Andrea Doria et le Caio Duilio (classe Andrea Doria)
- 1 cuirassé en cours de renflouement : Le Leonardo Da Vinci (classe Conte Di Cavour), qui avait chaviré à cause d’une explosion de ses munitions dans la nuit du 2 au 3 août 1916 dans le port de Tarente.
- 4 cuirassés en construction : les Francesco Caracciolo, Marcantonio Colonna, Cristoforo Colombo et Francesco Morosini, tous de la classe Caracciolo. La construction de ces « super-dreadnought » avait été stoppée à cause de la guerre, l’Italie devant comme la France gérer ses priorités industrielles, en l’occurrence en faveur de l’armée de terre et les petites unités navales dédiées à l’escorte. Les travaux avaient depuis repris, mais seul le Caracciolo avait été lancé, le 12 mai 1920.
- Aucun porte-avions, ni en service ni en chantier.
Apparence des bâtiments de la classe Caracciolo tels que prévus en 1914. Ils auraient été dotés de 8 canons de 381mm, un qualibre original pour une nation utilisant le système métrique. Ci-dessous, une photo du lancement du premier bâtiment.
Avant même de pouvoir dessiner les contours de son futur, la Regia Marina se trouva à nouveau à lutter avec l’armée de l’air. Le chef de cette dernière, le Général Douhet, à l’instar de certains de ses homologues étrangers, insistait sur le fait que toute arme aérienne devait être gérée par une seule entité. En face de lui, un débat houleux fu engagé par l’Amiral Bernotti soutenu par le contre-amiral Valli, qui eux affirmaient que la force aérienne ne pouvait être pleinement efficace dans la lutte navale que si celle-ci était pleinement intégrée au commandement de la marine.
En parallèle à ces combats d’idées, la Regia Marina continuait de s’organiser : le 30 septembre 1920 elle crée=a la force aérienne de la marine, comptant 939 hommes, avec des missions claires : reconnaissance, protection aérienne de la flotte et attaque à la torpille. Le plan était qu’en temps de paix, elle compterait 260 avions, quantité extensible à 800 en cas de guerre.
Cependant les luttes idéologiques n’existaient pas qu’entre armées : elles étaient aussi internes à l’état-major de la marine et les contraintes financières de l’après-guerre compliquaient les décisions et la mise en place d’une ligne de conduite claire quant aux nouvelles unités à construire. Trois camps s’affrontaient :
- les partisans d’une flotte « classique », composée de cuirassés ;
- les partisans d’une flotte « moderne » composée de porte-avions et de petites unités ;
- les partisans d’une flotte mixte présentant un équilibre entre les deux idées ci-dessus.
L’amiral Sechi, commandant en chef de la Marine, appartenait au troisième camp. Il décida donc de trouver un une solution qui rendrait ses idées compatibles avec les coups de vis budgétaires. Le 2 janvier 1921, il fit annuler la construction des 4 cuirassés de type Caracciolo (en réalité, le démantèlement des trois derniers avait déjà été commencé, les canons déjà prêts étant notamment utilisés pour armer des monitors). Le Caracciolo fut vendu à une compagnie napolitaine qui souhaitait le convertir en navire marchand. Mais ironiquement, une fois l’acquisition faite, elle se rendit compte que l’opération allait être trop coûteuse, et le navire fut mis sous cocon dans un coin de la rade, avant qu'un nouveau projet de le convertir en paquebot soit lui aussi proposé et très rapidement abandonné.
Sechi parvint à budgéter une petite modernisation du Dante Alighieri, des deux Cavours et des deux Doria, notamment pour leur conduite de tir, tout en décidant de continuer de « payer pour espérer » pour ce qui concernait le Leonardo Da Vinci.
Le Caio Duilio après sa première modernisation au lendemain de la guerre. Comme la Marine Nationale au même moment avec ses unités conçues avant le conflit, la Regia Marina limita la modernisation à l'essentiel et l'amélioration de la conduite de tir.
La marine lorgnait en effet sur ce dernier. Renflouer ce navire complètement retourné avec ses superstructures enfoncées dans la vase a nécessité une incroyable ingéniosité et des moyens financiers colossaux. L’État-major voulant dès le début récupérer le bâtiment – pour des raisons de prestige comme opérationnelles - et le remettre en service, on avait ainsi renoncé à le démanteler sur place. Les scaphandriers ont donc dû découper les superstructures, retirer les tourelles et tous les canons, et commencer à vider la coque de certains équipements lourds. En 1920, le navire se trouvait la tête en bas en cale sèche. Il fut sorti pour tenter une incroyable opération de retournement qui s’acheva avec succès le 24 janvier 1921. L’opération, nous l’avons dit, a coûté une fortune à la marine, qui n’envisagait rien d’autre qu’une reconstruction. Deux options furent proposées : reconstruire partiellement le cuirassé en le modernisant, notamment avec de l’armement anti-aérien qui aurait remplacé la tourelle centrale de 305mm, ou le convertir en porte-avions, les nouveaux ennemis français étant en train de faire de même avec un cuirassé inachevé, le Béarn (bien que les travaux ne commenceront réellement qu’en 1923).
Le drapeau de la maison de Savoie flotte à nouveau sur le Leonardo Da Vinci. Historiquement de grands marins, les italiens ont toujours été des précurseurs dans le domaine du renflouement de navires. Le cas du cuirassé le démontra encore.
L’affaire allait cependant tourner cours. Les contraintes budgétaires imposées à la Regia Marina au lendemain du conflit firent que la réparation en cuirassé du être oubliée. Pire encore, l’État-Major du se résigner à passer les dépenses liées au renflouage en pure perte : l’achèvement en porte-avions ne convainquit personne. Deux problèmes furent relevés : le premier était que l’on considèrait la coque trop petite pour en faire un porte-avions d’escadre. Le second était encore une fois d’ordre financier : à la différence du Béarn, la coque du Leonardo Da Vinci était achevée et allait nécessiter de coûteux travaux de mise en condition. L’affaire fut donc oubliée, et la marine vendit le cuirassé aux ferrailleurs le 22 mars 1923. Mais l’idée du porte-avions n'était pas encore enterrée, loin de là…
Mettons ceci entre parenthèses, et abordons alors un élément qui allait complètement changer la donne, car il allait refaçonner le visage de l’Italie et la doctrine militaire du pays : la prise du pouvoir par les fascistes et le rôle qu’ils accordaient à l’aviation. Dès 1919, de nombreux soldats et pilotes italiens, qui à l’instar de leurs homologues allemands se retrouvèrent « perdus » au lendemain du conflit, joignirent le mouvement fasciste. L’influence des pilotes, Mussolini en devenant lui-même un plus tard (en amateur à partir de 1937, et lors des démonstrations il volait toujours dans un appareil doté de doubles commandes avec un pilote expérimenté à ses côtés), allait être déterminante. Les fascistes allaient comprendre rapidement le poid visuel et le prestige que pouvait véhiculer l’avion, symbole de virilité, de puissance et de modernité, caractéristiques si chères au Duce dans son dessein de construire un nouvel homme italien, et c’est ainsi que pendant longtemps l’industrie aérienne aurait les faveurs du gouvernement.
En fait, on aurait pu trouver les signes annonciateurs dès 1921, lors de l’organisation de la revue aéronautique nationale les 27 et 28 mars 1921 par le futur et important membre du parti fasciste Giuseppe Bottai. Tous les représentants, militaires, civils, industriels, de l’aviation italienne étaient présents. Sauf… la Regia Marina.
Le Fascisme arriva au pouvoir en 1922, devenant une dictature « officielle » en 1924. Entretemps, en 1923, un décret royal annoncait la création de la Regia Aeronautica, véritable nouvelle arme, destinée à rassembler toutes les forces armées aériennes du pays, y compris celles de la Marine, qui jusque-là autonomes, bien entraînées, allaient se retrouver intégrées dans un immense système inefficace et très peu entraîné à évoluer avec les autres armes. Au même moment, Mussolini prit la tête du ministère de l’air (il cumulera plusieurs titres de ministres) nouvellement créé lui aussi. Les graines des difficultés de la marine dans la guerre aérienne étaient plantées.
Néanmoins, le ministre de la marine, le Grand Amiral Thaon Di Revel, supporteur de l’intégration de l’arme aérienne à la flotte et aussi du porte-avions, conscient du problème, allait réussir à réduire cet impact, en faisant conserver un statut spécial à certaines unités déjà bien intégrées à la marine : elles appartenaient toujours à la Regia Aeraonautica, mais sous la responsabilité de leur corps d’origine, par exemple les unités d’avions torpilleurs ou de reconnaissance. Néanmoins, malgré cette action louable, ce ne fut pas assez. Jusque-alors, l’initiative pour la création de nouveaux avions pour la marine venait de cette dernière, à présent, c’est la Regia Aeronautica qui, c’est le mot, pilotait, l’industrie.
Mais revenons-en donc à la marine. Toujours en 1923, Thaon Di Revel relanca l’idée de concevoir des porte-avions, à cet usage exclusif (donc pas d’unités hybrides), autonomes, capables dès le début d’un conflit de lancer des raids massifs pour frapper la flotte ennemie comme ses installations à terre. De nouvelles études furent alors lancées au cours des trois années suivantes. En fait, les ingénieurs des bureaux d’études prirent les devants, car Di Revel voulait commencer par une unité expérimentale. La demande porta sur une unité d’au minimum 10.000 tonnes avec 20 appareils. Thaon Di Revel avait une idée claire et réaliste : pour lui la Marine pouvait conserver une flotte similaire en taille et en qualité à ce qu’elle a actuellement, en remplacement progressivement les unités devenues hors d’âge. Il était donc possible pour elle d’allier cuirassés et porte-avions. C'était même pour lui un choix important, il fallait juste une volonté.
Les travaux avançaient, et en même temps la marine réalisait des « kriegspiels », qui appuyés par les travaux d'un théoricien, le Commandant Giuseppe Fioravanzo, qui décrivit exactement le rôle qu’allait avoir les flottes embarquées dans le conflit mondial à venir, ne firent que mettre en évidence le potentiel du porte-avions, enfin, surtout l’absence de celui-ci et les dangers de cette absence. Les études évoluèrent ensuite, et on imaginait à présent des unités de 15.000 tonnes évoluant avec des croiseurs lourds, ceux de la future classe Trento dont on imaginait déjà les caractéristiques.
Comme sa voisine française, la Regia Marina formera sa nouvelle ossature sur une série de croiseur lourds et légers. Ici le croiseur lourd Zara.
Au passage, notons que le manque de tests pratiques, réels, pour la Regia Marina la faisait diverger légèrement de ce qu’il se faisait alors à l’étranger. Fioranzo imaginait donc des croiseurs pour protéger les porte-avions, mais le rôle des avions embarqués ne devait être que celui du bombardement, le torpillage étant un rôle dévolu aux navires d’escortes. Cette vision était ainsi sensiblement différente de celle des anglais, qui à cette époque, via leur Amiral Roger Keyes, imaginaient les avions torpilleurs dans une optique de ralentir la flotte ennemie pour que celle-ci puisse être rattrapée par des cuirassés.
Bientôt, on commença à évoquer un navire de 25 à 30.000 tonnes. Avec le verdict de la conférence de Washington qui s’achèva le 6 février 1922 et l’abandon du Leonardo Da Vinci et en prévision de la non modernisation – voire de retrait du service – de cuirassés dans un futur proche, on pourrait permettre de dégager des ressources financières nécessaires. C’est ainsi qu’un plan fut établi : volte-face pour ce qui concernait le Caracciolo, des plans d’achèvement en porte-avions furent produits, dans le but de l’achever comme tel et le faire naviguer aux côtés de deux autres unités, d’un design complètement nouveau, qui ne seraient donc pas des conversions.
Une des plusieurs conversions proposées pour le Caracciolo. Particularité intéressante : le bloc passerelle est escamotable.
En parallèle, d'autres projets, porte-avions, porte-hydravions, hybrides, voient aussi le jour.
Un surprenant projet de porte-avions hybride, composé de trois sections articulées, imaginé au début des années 20. Dessin reproduit ici avec l'aimable autorisation de TZoli.
Mais c'était trop tard. Finalement, la Regia Marina abandonna cette fois. Le budget encore, les pressions et les guerres doctrinales, mais aussi un constat qu’elle fit elle-même. Fioranzo affirma qu’avec un budget limité, dans une optique de guerre avec la France, le porte-avions ne devrait pas prendre la priorité devant les croiseurs. De plus, en 1925, Thaon Di Revel démissionna de son poste de ministre pour protester contre la création d’un état-major général qui piloterait les trois armées, et toujours dirigé par le chef de l’armée de Terre. Dans son sillage, de nombreux cadres menacèrent de démissionner, comme l’Amiral Ducci, mais ils restèrent en place suite à la demande de ce Di Revel, dans le but de continuer le travail de la création d’une nouvelle marine.
Le départ de Thaon Di Revel allait faire mal à la cause du porte-avions chez les italiens : la même année, Mussolini devenait également ministre de la Marine et étendit ainsi son influence un peu plus sur toutes les composantes de l’armée. Lors d’une de ses premières réunions, le sujet du porte-avions fut abordé, et dans un sens, liquidé : le projet de cuirassé hybride du Général Rota – seul personne présente vraiment en faveur de la construction d’un porte-aéronefs - fut écarté car ne remplissant justement aucun des deux rôles, et la construction d’un « vrai » porte-avions était mise de côté car, bien que jugé utile, il fut estimé que le navire était « non indispensable » à la Marine. Le Duce trancha alors : « Nous décidons donc à l’unanimité que le porte-avions est écarté. La discussion est close. » Néanmoins, le fait que Rota soit esseulé n'était pas le seul facteur à retenir sur ce choix : les participants étaient conscients que les grosses unités de la marine commençaient à vieillir et devraient être remplacées bientôt, et qu’avec les croiseurs à construire, presque en urgence, pour suivre la France, cela faisait trop pour les maigres moyens de la marine. Enfin, les moyens industriels posaient problème quant à la construction d’un navire long de plus de 200 mètres : il n’y avait que 3 cales le permettant en Italie, à Gênes et à Trieste, et leur charge à court et moyen termes ne permettait pas d’envisager une construction dans ce délai, et il était bien évidemment hors de question financièrement d’agrandir une autre cale existante.
Le projet de porte-avions hybride de Guiseppe Rota daté de 1925. Comme les autres grandes marines, la Regia Marina songea directement ou non à se doter de bâtiments combinant le rôle de cuirassé et porte-avions. Le concept ci-dessus est intéressant car les cheminées et le bloc passerelle sont escamotables.
Le Caracciolo fut ainsi vendu à la casse en 1926 et on décida de maintenir une flotte minimaliste avec les 5 cuirassés qui restaient afin de favoriser la création de croiseurs, le cœur de la guerre potentielle avec la France, qui elle-aussi poussait dans cette voie. Avec le recul, cet abandon allait se transformer en un énorme manque à gagner en termes d’expérience et de coopération dans la guerre aéronavale, un manque qui se ferait cruellement sentir en 1940-41.
C’est ainsi que l’absence de doctrine claire, de lutte internes et externes, des moyens financiers limités et en plus de cela l’absence d’une coque « adaptée » pouvant entraîner une conversion facilement, firent que la marine italienne n’entra pas dans le club des possesseurs de porte-avions dès les années 20. Enfin, un autre élément qu’il ne faut pas omettre, c’est que l’Italie s’était mise en position de suiveuse, qui plus est, avec le recul, du « mauvais » adversaire : la France. Et les français n’ont construit aucun porte-avions, hormis le Béarn, à partir de 1923. Il n’est pas à exclure que si la Marine Nationale avait décidé de miser sur le porte-avions bien avant la mise en chantier du Joffre en 1938, l’Italie aurait fait des choix lui permettant de faire de même. Au lieu de cela, elle se trouvera exposée comme l’avait déjà imaginé le commandant Fioravanzo en 1924.
Le porte-hydravions Guiseppe Miraglia fut finalement le seul porte-aéronefs construit par l'Italie entre les deux guerres
Bibliographie sélective
- Davide F.JABES et Stefano SAPPINO, Aircraft Carrier Impero.
- Dominique LORMIER, La guerre italo-grecque.
- Claudio G. SEGRÈ, Italo BALBO: a fascist life.
- BRESCIA Maurizio, Mussolini’s navy.
- BAGNASCO, ERMINIO, GOSSMAN : Regia Marina – Italian Battleships of World War Two.
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