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La marine italienne et le porte-avions, troisième partie : crise éthiopienne et pente vers le conflit mondial 1935 - 1940

Article posté le 26-03-2024 dans la catégorie Histoire et Technologie

Article mis à jour le : 26-03-2024

La création - dans la douleur - de l'empire italien fait ressurgir l'idée du potentiel de l'aviation embarquée,

L’Histoire et ses évènements marquants, qu’ils soient récurrents ou non, sont découpés en dates, sur une base mathématique, comme un siècle, ou par un consensus sur un point de départ et de fin. Dans les faits, les évènements peuvent être un peu plus subtils pour ce qui est de leur commencement et de leur fin, ce qui pourrait les amener à être parfois être interprétés différemment. Par exemple, le 19ème siècle a officiellement commencé en 1800 et s’est achevé au soir du 31 décembre 1899. Mais pour de nombreux historiens, on pourrait dire qu’il a en fait commencé en 1789 pour s’achever en 1914. Il en est de même pour le second conflit mondial. Pour les Américains, il a commencé au matin du 7 décembre 1941, pour les européens, au soir du 3 septembre 1939. Pour certains historiens, ce conflit aurait en fait commencé en 1937 quand le Japon a envahi la Chine; pour d’autres la guerre d’Espagne fut en fait l’introduction du conflit entre les démocraties et les régimes totalitaires. Pour les Italiens, on pourrait même se demander si le conflit n’a pas en fait commencé en 1935 

Cette année-là, Mussolini ne savait toujours pas comment se positionner. Il était en plein dans sa doctrine d’opportunisme, cherchant à mettre son pays sur le devant de la scène et éviter un conflit coûteux qui serait dangereux pour le pays. Pour lui l’Italie devait se mettre en avant comme une puissance incontournable, pour être prise au sérieux, et devenir un acteur diplomatique respecté. Il fallait cependant faire preuve de clairvoyance et saisir les occasions. En ce sens, il discutait à la fois avec l’Allemagne, le Duce voyant d’un mauvais œil les intentions nazies envers l’Autriche, et les alliés, afin de calmer les tensions avec la France et la Grande-Bretagne pour ce qui était de la Méditerranée. Les discussions aboutirent en mars avec l’accord de Stresa, accords qui ne contenaient rien de concret si ce n’est une volonté commune de préserver la paix. Mussolini en sorti cependant persuadé que l’Allemagne ne pourrait pas toucher à l’Autriche sans que la France et la Grande-Bretagne n’interviennent, et il pensa également avoir le champ libre en Éthiopie. 

À présent, le Duce attendait son heure ou une opportunité pour se mettre en avant sur la scène internationale, chose qui lui faisait cruellement défaut, car à l’étranger la seule publicité positive pour le régime fasciste venait des performances sportives de Balbo ou les articles élogieux de quelques intellectuels de tous pays. 

Pour la marine, c’était également des espoirs de nouvelles opportunités. Elle étudia pendant quelques mois un projet ambitieux de flotte océanique basée dans une nouvelle base à construire à Chisimaio, en Somalie, et composée de plusieurs cuirassés et porte-avions. Cette ambition aurait pu être réalisable si la situation en Europe s’était réellement apaisée. La dégradation rapide fit que ce projet fut constamment réduit en taille jusqu’à ce qu’il devienne caduc. 

Car les choses allaient bouger et vite. Étonnamment, ce furent les Anglais qui allaient semer la consternation. La signature 3 mois plus tard de l’accord naval anglo-allemand allait surprendre à la fois les Français, pourtant alliés des Britanniques et tout autant les Italiens. La position britannique, un peu floue, sans consulter d’autres pays européens, allait fâcher dans les chancelleries. Pour les Français, les Anglais venaient de donner l’autorisation aux allemands de violer le traité de Versailles, pour les Italiens, c’est l’accord de Stresa qui était rendu caduque. On ne s’en rendait alors pas compte, mais c’était un tournant diplomatique qui aurait de gros impacts. Il allait alimenter la méfiance de Mussolini envers l'Angleterre et commencer à séparer l'Angleterre de la France.

Pendant ce temps-là, la marine travaillait sur des projection à 6 ans. En jonglant avec les crédits, elle pensait pouvoir disposer d’une flotte de 300.000 tonnes en 1941, ce qui impliquait un ambitieux plan de construction de 3 porte-avions, 4 cuirassés et 4 croiseurs. Cela peut paraitre ambitieux à postériori, mais on se rend compte en regardant les chiffres que c’était tout à fait réalisable si la situation du pays ne s’était pas dégradée. Mais pour Mussolini, c’était le présent qui comptait. En août, il convoqua ses trois chefs d’États-majors pour qu’ils lui remettent un plan en cas de conflit avec la Grande-Bretagne, le Duce était échaudé par l’augmentation des moyens de la Royal Navy dans la région. La réponse qu’il reçut ne fut pas celle qu’il attendait : seule l’armée de terre affirma être prête, alors que les deux autres armées furent catégoriques, le chef d’État-major de la marine affirmant que la flotte ne pourrait au mieux ne faire qu’une petite guérilla avec des actions sporadiques. Le rapport le plus inquiétant vint peut-être du capitaine Maugeri, des services secrets, qui exposa au Duce sa vision du rôle de Malte, et insista sur la quantité importante de ressources à faire voyager vers la Lybie, un effort logistique que la marine semblait incapable de fournir matériellement, le pays ne disposant pas d’assez de navires marchands et surtout la marine semblait réticente à jouer uniquement les escortes. De plus, il fut rappelé que les ports libyens étaient inadaptés aux mouvements rapides de déchargement de marchandises. Tout cela Mussolini ne le retint pas longtemps.

Mais le Duce avait des plans, et il comptait s’y tenir, quitte à bousculer ses propres généraux. Pour lui, la Marine devait tenir son rôle de protection, et l’armée de l’air et de terre effectueraient le travail offensif. En novembre 1935, considérant que l’heure de l’Italie était venue, il fonda l’Empire. Il lança ainsi son pays dans la guerre contre l’Éthiopie, pour que son pays puisse avoir une digne part de l’Afrique, composée également de la Somalie et de la Lybie (cette dernière étant considérée, à l'instar de l'Algérie pour la France, comme une part du territoire national). Pour marquer le coup, un ministère des colonies fut créé. Ainsi, 200.000 soldats appuyés par la Regia Aeronautica allaient mener une guerre désastreuse qui allait durer un an et demi et qui allait sceller le sort de l’Italie. Cette attaque fut menée en grande pompe : journalistes et observateurs officiels du parti étaient intégrés au milieu des troupes, certains leaders du régime, y compris le compte Ciano, le gendre du Duce, prirent part à des bombardements aériens. La toute-puissance Italienne fut mise en avant au maximum. La marine, elle, dut se contenter de faire du transport de matériel et de troupes. 

Mais si sur le terrain l’armée transalpine fut victorieuse, partout ailleurs le pays fut battu. L’attaque fut condamnée par la SDN et des sanctions économiques furent prises contre le pays. En termes d’image, l’utilisation d’armes chimiques, la pratique de la torture et des soupçons de génocide créèrent des polémiques et dégradèrent fortement, en quelques mois, l’image du pays chez les étrangers qui voyaient une Italie forte et dynamique, incarnée par ces beaux pilotes courageux et même cet homme italien nouveau. Économiquement, les sanctions allaient aggraver une déjà bien mauvaise donne : le conflit imaginé court mais prolongé par la vaillante résistance éthiopienne, mettait le pays dans une situation inconfortable financièrement. Pour financer sa guerre, le Duce invita les Italiens à faire don de leurs bijoux… 

Mais la catastrophe ne s’arrêta pas là. Alors que les relations avec l’Allemagne n’étaient pas au beau fixe à cause des intentions de cette dernière concernant l’Autriche, Mussolini lança son pays dans ce que l’on appellera la guerre d’Espagne, les fascistes italiens devant aider leurs alter-ego espagnols. Encore une fois, la marine ne joua aucun rôle ou presque, ce fut l’armée de l’air qui allait porter le triomphe du fascisme italien. Et encore une fois, cette intervention coûta une fortune à l’Italie. Mais le pire restait à venir, isolée diplomatiquement et financièrement, l’Italie se trouva poussée dans les bras de l’Allemagne, et malgré les prétentions du Duce, l’élève allait rapidement surpasser le maître dans bien des domaines, l’Italie étant sur le point de devenir dépendante de l’Allemagne, fermant les yeux sur l’annexion de l’Autriche qui allait arriver prochainement. Une première étape fut franchie en octobre 1936 avec la signature d’un pacte italo-allemand, puis une autre l’année suivante quand le régime italien rejoignit l’agrément anti-communiste ratifié l’année précédente par les Allemands et les Japonais. Les forces de l’Axe, qui en somme avaient peu d’intérêts communs, venaient de sceller leur destin. Il s’agissait plus d’un agrément général que d’une coopération, et cela se ressentira lourdement pendant la guerre. Pour Mussolini, cela restait une victoire, il avait le champ libre en Afrique et pouvait tranquillement envahir l’Albanie en 1939, une autre opération couteuse qui allait mettre, encore, en évidence le manque de préparation de son armée. 

Néanmoins, au milieu de ces quatre années de descente aux enfers sur tous les plans, et malgré des finances qui allaient devenir de plus en plus complexe à gérer au fil du temps au moment où les autres pays européens lançaient leur programme de réarmement, la Regia Marina comprit qu’elle avait peut-être quelque chose à tirer des intentions du leader. Déjà, industriellement, elle bénéficiait du plus gros des efforts car si son rôle serait de protéger le transit vers la Lybie, Mussolini savait qu’elle besoin de moyens, et il lui accordait, pour la construction de nouveaux cuirassés et la modernisation de la flotte existante, moins le vieux Dante Alighieri qui, jugé trop couteux à moderniser, fut envoyé à la casse. De plus plusieurs discussions eurent lieu, dont une en octobre 1935 durant laquelle le General Valle, le chef de l’armée de l’air, dû concéder que le pays ne disposait que d’une poignée d’avions capables d’aller bombarder Alexandrie, un des deux principales bases de la Royal Navy. Devant la pression des attentes du Duce, L’Amiral Cavagnari sembla alors avoir rejoint le camp des pro porte-avions : il demanda qu’une étude poussée soit réalisée en secret pour la réalisation des plans d’un porte-avions rapide (14.000 tonnes, 38 nœuds pour 160.000cv) pour effectuer des raids. Les travaux allaient être menés rapidement avec notamment l’intervention de l’amiral Umberto Pugliese qui fit mener plusieurs tests d’explosions sous-marines sur des modèles réduits reprenant la structure prévue pour ce type de vaisseaux. Ces recherches en arrivèrent à un point où Pugliese demanda l’autorisation à Cavagnari de solliciter la collaboration de la Regia Aeronautica, autorisation accordée en juillet 1936. Cependant, ce fut un échec total. Tout d’abord la communication exécrable entre les deux armées, dans les états-majors et sur le terrain, et l’obstination de la Regia Aeronauica à utiliser des tactiques inadaptées (comme les bombardements à haute altitude), rendirent presque inutiles ces essais,  mais de delà, les conflits persistèrent même entre marins : Cavagnari, bien que plus ouvert sur le sujet du porte-avions, voulait préserver le rôle de l’armée de l’air, pour des raisons politiques peut-être, alors que le reste des officiers semblait vouloir garder le contrôle sur l’utilisation de ce type de navire. Finalement Pugliese affirma que la marine n’avait plus aussi urgemment besoin de l’aide des aviateurs et que les travaux pourraient commencer dès 1937 si on leur en donnait l’autorisation. Pour ne pas perdre de temps et gagner le plus rapidement possible en expérience et collaboration, la Regia Marina proposa alors de commencer une conversion rapide des paquebots Roma et Augustus, mais le plan fut rejeté à la fois pour des raisons politiques et économiques. La Regia Aeronautica était toujours méfiante et considérait encore le porte-avions comme une menace sur son rôle et son pouvoir, poussa encore le Duce à retarder la concrétisation des projets de la marine. 

La Regia Marina, malgré les luttes politiques, semblait cependant fermement décidée à obtenir ce qu’elle voulait. Pour plusieurs raisons : se débarrasser de l’influence de la Regia Aeronautica, gagner en autonomie, mais aussi par nécessité car il devenait clair qu’avec les moyens actuels elle ne pourrait tenir son rang : les Anglais construisaient plusieurs porte-avions, les alliés allemands et japonais faisaient de même, et surtout, les Français allaient bientôt s’y mettre. Des observateurs extérieurs mettaient en évidence que l’absence de porte-avions allait devenir une faiblesse importante pour les Italiens. Les rares personnes qui, chez les marins, pouvaient en douter, étaient mises face à la réalité, qui venait à la fois de l’extérieur donc, mais surtout du terrain, car la guerre en Éthiopie avait montré que mener une guerre, que nous appellerions aujourd’hui « asymétrique », posait déjà des problèmes, que l’armée de l’air elle-même commençait timidement à reconnaitre. 

Malgré une décennie de discussions et d’avertissements, l’Aeronautica avait sous-estimé la difficulté des tâches qui lui seraient confiées, ou parfois surestimé ses moyens. Certains gradés ont ainsi peut-être découvert l’écart qu’il y avait entre faire de la parade, de la voltige, devant le peuple italien, ou encore quelques bombardements sur des cibles statiques sans protection, et la réalité : acheminement, approvisionnement et maintenance de la flotte aérienne étaient en effet une autre paire de manches.  

Pour pouvoir effectuer ce qui serait les premiers bombardements de masse par des gros bombardiers puis des avions plus petits, sur des populations civiles, avec des bombes conventionnelles et chimiques, l’Italie a dû faire voyager ces avions soit directement en volant via la Lybie, soit à bord de navires de transport, avec des délais conséquents sur leur mise en œuvre. Au milieu de cette difficulté, on comprend aisément que l’idée du porte-avions revint rapidement sur le devant de la scène, du moins brièvement. Pour certains en effet, un ou des porte-avions italiens auraient pu directement se positionner en mer rouge pour lancer des raids sur les forces ennemies, appuyer en temps réel les forces au sol, rendant leur action plus efficaces… et bien entendu diminuant l’impact de la Regia Aeronautica. 

Sentant peut-être les vents devenir plus favorable face à cette réalité, espérant peut-être avoir plus de chance d’être écouté sérieusement, la Regia Marina allait alors se pencher sur son agenda immédiat, pour trouver des solutions qui seraient réalisables à court terme, ce qui leur donneraient plus de chance d’être approuvées par le Duce. Tout en récupérant les informations glanées par les délégations japonaises et allemandes lors de leurs échanges respectifs – les Allemands assistèrent à des manœuvres sur des porte-avions japonais et purent obtenir des centaines d’informations et procédures de communications, et ces derniers purent visiter le chantier du Graff Zepelin – les marins italiens allaient devoir faire preuve d’imagination pour rattraper leur retard. 

Le regard se porta alors sur deux vieux cuirassés que la marine comptait encore dans ses rangs, et tout particulièrement sur l’un d’entre eux : l’Andrea Doria. A ce moment-là la marine était en pleine phase de relance de son programme de cuirassés, après presque 15 années d’inactivité sur ce terrain. En effet, deux unités anciennes, le Conte Di Cavour et le Guilio Cesare, étaient en pleine reconstruction pour les amener aux standards actuels. La marine venait également de mettre en chantier les deux premier Littorio, de 35.000 tonnes.  La reconstruction des deux premières cités allait bon train, et on commençait à présent à lorgner sur l’Andrea Doria et son jumeau le Caio Duilio qui étaient de sérieux candidats à une nouvelle vie. 

La marine étudia rapidement et écarta finalement tout aussi rapidement l’idée de transformer le Doria en un porte-avions. Le principal problème qui se posa fut celui qui s’était posé 15 ans plus tôt quand on avait envisagé convertir le Leonardo Da Vinci. La coque semblait trop petite pour pouvoir imaginer la transformer en une unité capable de remplir les missions attendues. Finalement, le Doria et de le Duilio furent eux-aussi reconstruits en deux « mini Littorio » avec une ligne générale est un équipement assez proche des géants à venir, et donc assez différents du Cavour et du Cesare

Ci-dessous, lignes du Guilio Cesare, avant et après reconstruction

Cesare 1911

Cesare 1937

 

Ci-dessous, lignes du Caio Duilio, avant et après reconstruction

Duilio 1913

Duilio 1940

 

Pour autant, les bureaux d’études ne s’arrêtèrent pas. Devant l’urgence de la situation (nous étions en plein milieu de la crise Ethiopienne) le paquebot Roma de 30.000 tonnes, lancé en 1926 et qui ironiquement utilisait une partie des machines du cuirassé Cristoforo Columbo, fut proposé à la conversion en un porte-avions, tout comme pour son jumeau l'Augustus. Deux projets furent étudiés. Celui-ci-dessous rappelle les premiers porte-avions anglais. Le pont d’envol aurait fait 195 mètres de long pour 27 de large, et son armement limité à 4 canons de 100mm en affut simple. L’appareil propulsif aurait été modifié pour utiliser du carburant diesel, comme c’était déjà le cas sur le paquebot Augustus de 28.000 tonnes. À noter que ce projet de conversion devait entraîner l’ajout de bulges pour améliorer la protection sous-marine.

Paquebot Roma

Le Roma, et ci-dessous, le projet de conversion pour lui et son jumeau (crédits : Karle94 - Shipbucket) 

Sparviero 1936

Le second projet, avec double pont d’envol (un pour le décollage et un pour l’appontage comme sur les japonais Akagi et Kaga dans leur version d’origine) fut proposé par le chantier Ansaldo de Gênes. Ce chantier était plus ambitieux puisque la coque aurait dû être rallongée de 8,5 mètres pour contribuer à tenir une vitesse de 26 nœuds. L’armement était également plus conséquent (4 x 120mm et 8 x 100 mm doubles) et la capacité plus élevées (56 appareils). Ce projet fut ressorti plus tard des cartons en septembre 1939 par suite de la crise de Dantzig, le bâtiment étant rappelé de New-York. Néanmoins le statut de neutralité de l’Italie fut rapidement confirmé et le projet fut aussitôt écarté. De plus, la réalisation aurait été compliquée car les moteurs diesels n’auraient pas été disponibles avant plusieurs années. 

Entretemps, en 1938, durant crise des sudètes, la conversion du croiseur Bolzano fut proposée. Il s’agissait de retirer les tourelles avant de l'artillerie principale et d’installer un pont d’envol pour douze avions, avec 4 catapultes, sans hangar cependant. Les cheminées et un petit îlot auraient été placés à tribord. La fin de la crise mis un terme au projet. Comme avec le paquebot Roma, on constate que l’Italie était à présent forcée d’être plutôt dans la réaction que l’action. 

Finalement, malgré les idées qui ne manquaient pas, la marine n’atteignit pas son but de démarrer le conflit mondial qui arrivait avec au moins un porte-avions dans ses rangs. Après la lecture des trois premiers chapitres de cet article, on pourrait se dire que la Marine avait été battue par la politique de la Regia Aeronautica et les décisions discutables du Duce. Cependant, ne soyons pas aussi catégoriques ! En effet, nous avons beaucoup abordé les tentatives de quelques esprits clairvoyants et de personnes ambitieuses, néanmoins il ne faut pas généraliser : le porte-avions restait quelque chose d’identifié comme utile, mais c’est bien le canon qui restait la priorité. Le fait est que l’armée italienne en général était dans le même état d’esprit que son homologue de l’autre côté des Alpes : à l’exception de quelques esprits ouverts, le porte-avions, au même titre que le radar d’ailleurs, restait une idée secondaire, un outil qui ne devait pas être la priorité de l’industrie. En ce sens, on peut affirmer que les Italiens ont été aveugles, mais au moins, alors que le conflit mondial se profilait à l’horizon, ils ont pris conscience de leurs propres limites et durent se définir des objectifs qui seraient raisonnables. Pour les marins italiens dans leur ensemble, le conflit qui arrivait allait être une guerre de course, une guerre de raids, une guerre de protection de convois. L’idée de défendre la lointaine Afrique orientale Italienne était devenue une utopie pour l’état-major: la vraie guerre se ferait à proximité immédiate de la métropole et sur la route de la Lybie pour alimenter l’armée de terre. Cette guerre serait concrétisée par l’affrontement de ce qui représentait le cœur des flottes françaises et italiennes : le croiseur. 

En ce sens, l’idée de Mussolini comme quoi l’Italie était « le meilleur porte-avions » n’était pas fondamentalement fausse, mais elle occultait cependant un point majeur : la réactivité requise sur le champ de bataille, tout particulièrement contre un adversaire qui lui disposait de porte-avions (Grande-Bretagne) où qui de par sa disposition géographique, est capable d’attaquer son adversaire par plusieurs côtés (France), ce qui obligerait la flotte à avoir théoriquement une aviation embarquée pour sa protection rapprochée.  

L’idée même du porte-avions, contrairement à ce qui a abondamment été répété, n’était ainsi pas un concept totalement inconnu de la Regia Marina. Comme les autres marines, elle y pensait et y travaillait depuis 20 ans, mais l’absence de doctrine claire, les moyens financiers réduits qui poussaient à prioriser d’autres composantes de l’armée, l’omniprésence de la Regia Aeronautica, firent que l’Italie commença son conflit en retard dans ce domaine. 

Un des éléments les plus évocateurs est par exemple la torpille aérienne : pendant 4 ans (1935-39) la Regia Marina et la Regia Aeronautica se disputèrent sur les caractéristiques que ces armes devaient avoir, mais également sur qui devait fournir les crédits pour les concevoir. La marine ne cessait de rappeler l’intérêt de ce projectile alors que le chef de l’armée de l’air, le geneal Valle, considérait encore en novembre 1939 que cette arme était « secondaire, son rôle incertain ». Selon son successeur le General Pricollo, cela était en parti dû au fait que l’armée de l’air craignait que la marin ne développe une trop grande dépendance aux forces aériennes, en somme les considérations politiques prenaient le pas sur la réalité stratégique, et tant pis si la flotte n’avait pas de torpilles aériennes. Quand la guerre commença, les stocks italiens de ce type de projectile s’élevaient à seulement 15 petites unités et les premières escadrilles modernes dédiées à ce rôle (attaque à la torpille) ne furent prêtes qu’en août 1940... 

Bibliographie sélective


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