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La marine italienne et le porte-avions, quatrième partie : la réalité du conflit 1940 - 1941

Article posté le 26-03-2024 dans la catégorie Histoire et Technologie

Article mis à jour le : 26-03-2024

Dans ce quatrième et très long chapitre, balayons comment en seulement neuf mois toutes les certitudes italiennes ont été balayées.

“Parmi les grands oubliés de la guerre en Méditerranée [...] figurent les aviateurs italiens, dont particulièrement les pilotes des avions torpilleurs, les aerosiluranti.”  

Dominique LORMIER. 

“Ceux qui disaient que l’Italie en elle-même était un porte-avions oubliaient les dimensions de la Méditerranée et la faible autonomie de l’avion : cent vingt minutes pour décoller, se rendre sur le lieu de l’action, combattre, revenir et atterrir. [...] Les aviateurs italiens ne pouvaient pas communiquer en phonie avec leur base. Ils devaient chiffrer leurs messages, qu’ils envoyaient en radiotélégraphie, et qui devaient être ensuite déchiffrés. Le même système était employé pour la réponse, de sorte que chaque échange durait une demi-heure, soit le temps de parcourir 105 kilomètres à bord d’un avion vétuste ou 300 kilomètres à bord d’un avion moderne. Autant dire que les communications entre l’avion et la base cessaient d’exister aussitôt l’avion décollé.” 

Le commandant DI BELLA, de la Regia Aeronautica. 

Si la marine italienne est définitivement celle des trois armées qui est la mieux préparée pour le conflit, elle ne reste néanmoins loin d’être en état d’assumer son rôle. En 1939, le Compte Ciano, gendre et ministre des Affaires étrangères du Duce, avait notifié à son homologue Von Ribbentrop que l’Italie, d’après les rapports remis par les chefs des trois armées, ne serait pas prête pour le conflit avant 1942 (ce dont les allemands se fichaient, puisqu'ils ne comptaient pas sur les italiens). Celui remis par l’Amiral Cavagnari était clair : les avertissements étaient sensiblement les mêmes que ceux émis 4 ans plus tôt durant la crise éthiopienne, à savoir que la situation pourrait devenir rapidement très compliquée pour la Regia Marina en cas de guerre avec la France et l’Angleterre. Ces avertissements ont également été notifiés au Duce par l’intermédiaire du Maréchal Badoglio, chef d’état-major des armées :  la Marine est inférieure dans bien des domaines à ses concurrentes, et l’armée de l’air affiche une supériorité qui n’est que fictive : affronter les deux puissances ensembles seraient une autre paire de manches que d’affronter l’Ethiopie, surtout avec des avions à bout de souffle, les avions modernes ne représentant qu’une toute petite partie de la flotte aérienne. Le chef de l’État fasciste, bien qu’agacé par ces réponses, pris acte. 

Néanmoins, le Duce, surpris par la fin – à ses yeux plus rapide que prévue - de la drôle de guerre, puis par les victoires foudroyantes de l’Allemagne au printemps, dû précipiter ses plans. Selon certains témoignages, il fut même satisfait et presque soulagé de voir les Français enfin résister aux envahisseurs les premiers jours de juin. Mais quand vers le 6, le front de la Somme s’effondre, le Duce se rend à l’évidence : il doit faire entrer son pays dans la guerre avant que l’Allemagne devienne la puissance dominante sur le continent. De plus, l’état de l’armée française le laisse espérer un gain de territoire suffisant – il fixe des objectifs délirants, en demande au Regio Esercito de prendre la vallée du Rhône et Grenoble, afin de pouvoir négocier une annexion de la Tunisie et une « récupération » de la Corse et de la Savoie. La réalité sera un peu plus difficile. Sur terre et dans les airs, les limites des armées italiennes vont vite sauter aux yeux et limiter les gains territoriaux, sans compter qu’il n’est point possible de faire de « Guerre éclair »  - si tant est qu’elle ait existée, le sujet faisant encore débat aujourd’hui – dans les Alpes, à la différence des plaines de la Belgique et du nord de la France, comme le fera remarquer un observateur allemand. 

Mais revenons à la déclaration du conflit. Si dans les milieux militaires et politiques, elle ne surprend personne, sur le terrain les choses seront tout autrement vécues. Malgré un avertissement émis en janvier 1940, c’est 212 navires marchands (soit 1,2 millions de tonnes) italiens qui se retrouvent piégés dans des ports étrangers ou en dehors de la Méditerranée lorsque Mussolini déclare la guerre aux alliés le 10 juin “Aux armes peuple d’Italie, le moment est venu de montrer votre bravoure !”. Cette perte colossale – cela représente 35% de la flotte de commerce transalpine - va peser lourd car la stratégie Mussolinienne en Afrique (prendre l’Égypte aux Anglais) repose d’abord sur le fait d'alimenter en hommes et en matériel une armée italienne sur place cruellement démunie au regard des objectifs qui lui sont fixés. Car les rôles ont été définis : pour la Regia Marina, il faudra éviter les engagements avec les flottes ennemies et assurer la protection des convois en direction et en provenance de la Lybie. 

Le conflit va vite mettre en exergue les carences en termes d’organisation et d’entraînement de l’armée Italienne dans son ensemble. Sur terre et dans les airs, l’attaque contre la France est mal coordonnée et mal exécutée - sans même parler de l’équipement inadéquat par moments. Sur mer, la volonté de s’éloigner des côtes françaises combinée à l’impréparation au conflit vont également rapidement montrer que l’Italie n’est pas prête pour la guerre qu’elle veut mener. Passons donc en revue les 10 mois de cette période 1940-1941. 

Opération Vado 

Le 14 juin, une escadre française, composée de 4 croiseurs lourds (Foch, Algérie, Dupleix et Colbert) et 8 contre-torpilleurs, venue de Toulon vint bombarder les ports de Vado et de Gênes. Ni la Regia Aeronautica ni la Regia Marina n’ont vu venir l’ennemi ou n’ont pu intervenir contre lui (à l’exception d’une vedette lance-torpille). Le seul dommage subit par un navire français vint d’un obus de 152 mm tiré depuis la terre et qui toucha le contre-torpilleur Albatros dans une chaufferie, faisant douze victimes. 

Opération MD 3 

Le 21 juin suivant, une force britannique incluant le cuirassé français Lorraine et les croiseurs anglais Orion et Neptune, le croiseur australien Sydney ainsi que 4 destroyers et venant d’Alexandrie bombarde le port fortifié de Bardia, en Lybie. L’opération commence au petit matin et le bombardement inflige des dégâts à des fortifications et des dépôts de stockage. Hormis quelques tirs de DCA, l’armée italienne reste sans réaction. En une semaine, la vulnérabilité des côtes italiennes, qu’il s’agisse de la métropole ou de la Lybie, est déjà évidente. 

Engagement au large de la Calabre (Punta Stilo) 

Le 9 juillet, une escadre italienne sous la direction de l’Amiral Campioni (cuirassés Cavour et Cesare et plusieurs croiseurs) affronte une partie de la force H britannique (cuirassés Warspite, Malaya et Royal Sovereign accompagnés de plusieurs croiseurs. Les deux forces menaient chacune d’une mission d’escorte de convois (Malte pour les Anglais, et un petit convoi de 5 navires marchands en direction de la Lybie pour les Italiens). Le résultat de l’engagement est faible : aucun coup au but pour les Italiens, un seul coup au but pour les anglais (Warspite sur le Cesare) avant que les deux flottent ne se dérobent. Mais c’est ce qui s’est passé avant et après qui nous intéresse. 

Ci-dessus : les dégats sur le Cesare, touché par un obus de 381mm tiré depuis plus de 25 000 mètres !

La rencontre ne fut une surprise pour personne : le déchiffrement de messages quelques jours plus tôt puis la détection par radiogoniométrie le 7 juillet avaient permis aux Italiens d’anticiper la rencontre. L’objectif était pour eux était donc d’assurer la sécurité du convoi tout en évitant la flotte anglaise et de protéger ensuite les côtes de Lybie. Mais le déchiffrement avait permis de craindre de nouvelles intentions anglaises : potentiellement bombarder la Calabre ou la Sicile. Il fallait donc barrer la route à la Royal Navy. De leur côté les Anglais repérèrent les Italiens par reconnaissance aérienne et allèrent au contact. La rencontre était inévitable. 

Les prémisses de l’engagement montraient déjà le déséquilibre : informée, la Regia Aeronautica lança – avec retard - plusieurs attaques aériennes contre la flotte anglaise, avec une certaine inefficacité (une seule bombe au but, endommageant gravement le croiseur Gloucester) facilité car le porte-avions anglais présent (le Eagle) n’avait que deux chasseurs à bord. La DCA repoussa les attaques et les Italiens finirent par perdre de vue leurs ennemis. Pendant ce temps, les Anglais avaient en permanence un hydravion qui suivait l’escadre italienne. Finalement, le 9 juillet, un hydravion italien retrouva la trace de la force H : l’amiral Campioni lança trois nouveaux hydravions pour ne plus perdre le contact et demanda dans le même temps le support de l’armée de l’air. 

Les Anglais lançèrent à leur tour plusieurs attaques aériennes : d’abord une sur le port d’Augusta puis une sur une partie de l’escadre italienne – un groupe de croiseurs. Campioni réitèra alors sa demande d’aide : finalement la Regia Aeronautica s’exécuta et lança plusieurs attaques depuis la botte et la Lybie, sans résultat. Mais au milieu de ces attaques sur l’ennemi anglais, un fait important est à signaler : à plusieurs reprises, pendant quatre heures (six selon certaines sources), la flotte italienne fut attaquée... par des avions italiens.  

Dans son rapport après la bataille, l’amiral italien exprimera son amertume : “Aucun accusé de réception de la part de la Regia Aeronautica pour notre demande d’aide [...] Tous les signaux de reconnaissances que nous avions convenus furent exécutés pour faciliter notre identification [...] La difficulté de lancer des attaques aériennes au bon moment est évidente [...] alors que [les anglais] peuvent utiliser leur aviation embarquée [...] Les avantages d’un porte-avions pour l’attaque comme la défense sont évidents et la construction immédiate d’un tel navire est à souhaiter [...] Les avions embarqués pourraient guider ceux venus de terre pour une attaque sans erreur en leur donnant les dernières informations sur la situation tactique [...] Je pense que la construction d’un porte-avions est prioritaire à celle de croiseurs”. 

Le constat est donc clair : l’amiral prône la construction d’un porte-avions mais également une approche collaborative avec l’armée de l’air dont le travail (500 avions utilisés, 2000 bombes lancées, 4 avions perdus et donc l’attaque de sa propre flotte) n’a porté aucun résultat satisfaisant : manque de communication et utilisation d’informations obsolètes en sont les causes. On serait tenté de penser que les dirigeants militaires et politiques transalpins auraient tenu compte de ce rapport et immédiatement pris les décisions qui s’imposaient. Il n’en fut rien. Le compte Ciano notera dans son journal que le problème ne venait pas de l’absence de porte-avions mais bien de la collaboration entre les deux armées de terre et de mer. De plus, il évoqua le rapport hallucinant de l’armée de l’air qui affirme avoir obtenu des résultats exceptionnels, au point que le Duce affirma qu’en seulement trois jours, les Anglais avaient perdu la moitié de leur flotte en Méditerranée ! En fin de compte, ce que les dirigeants italiens retinrent, c’est que leur convoi avait atteint la Lybie et que la mission fut un succès (au même titre que les Anglais avec le leur). Mais les amiraux italiens comme leurs homologues de la Royal Navy furent frustrés des résultats et des moyens à disposition (l’Amiral Cunningham se plaindra en effet de n’avoir qu’un seul vieux porte-avions et seulement deux cuirassés valables à disposition sur le théâtre Méditerranéen).  

Partant de son constat. l’état-major de la marine italienne tenta alors dès ce premier revers de prendre des mesures : alors que quelques semaines plutôt le conseil supérieur de défense avait décidé de ne pas construire de nouvelles unités d’un tonnage supérieur à 5000 tonnes, les marins proposèrent de convertir les deux paquebots transatlantiques (vitesse maximale de 27 noeuds) Rex et Conte Di Savoia en porte-avions sans plus tarder. L’amiral Cavagnari proposa un premier design estimatif de 260 mètres de long, avec un pont d’envol continu, qui aurait permis d’embarquer 50 avions. Il était estimé qu’il faudrait environ un an pour réaliser les travaux. Même si a posteriori cela paraît très optimiste, on peut imaginer que si la décision avait été accepté, la Regia Marina aurait pu compter deux porte-avions dans ses rangs pour la seconde partie de 1941. Les choses n’allèrent pas plus loin : la Marine Marchande s’opposa à ces conversions à cause de la forte valeur commerciale de ces navires. Les militaires revinrent alors avec une autre proposition : convertir le paquebot Roma, encore lui, mais avec une nouvelle approche, avec deux hangars et un pont d’envol de 218 mètres de long. La proposition n’alla pas plus loin non plus semble-t-il, et le paquebot restera dans un coin du port de Gênes en attendant que l’on statut sur son sort. La situation n’était peut-être pas assez critique aux yeux des décideurs ? Les choses seront bien différentes quand le sujet sera remis sur la table huit mois plus tard. 

Des actions furent néanmoins réalisées : afin de réduire le risque d’erreur, la flotte italienne peindra sur chacun de ses navires les fameuses marques d’identifications bien connues aujourd’hui : les bandes blanches et rouges à la proue. Ces mêmes bandes furent ajoutées aux hydravions. Malheureusement, les rapports entre l’armée de mer et de l’air ne s’améliorèrent pas pour autant, nous allons le voir. 

Bataille du Cap Spada 

Le 19 juillet, alors que la Regia Marina digère encore les enseignements tirés de l’engagement au large de la Calabre dix jours plus tôt, elle lance une opération de traque des navires anglais qui naviguent au sud des îles Grecques : elle mobilise deux croiseurs légers et plusieurs contre-torpilleurs. Au même moment, une flotte britannique (deux croiseurs légers et plusieurs destroyers) part patrouiller dans la zone et notamment traquer les sous-marins italiens qui pourraient y passer pour attaquer les convois alliés. 

L’origine de cette opération vient du fait que les services de renseignent italiens furent mis au courant de la présence d’un convoi allié à proximité et par le souhait de tenter un bombardement à l’extrême ouest de la côte égyptienne. Par conséquent un hydravion de reconnaissance fut lancé à la recherche de navires ennemis, sans succès. La Regia Marina demanda alors le support de la Regia Aeronautica : elle disposait à Rhodes de plusieurs escadrilles qui pourraient lui assurer la reconnaissance et la couverture aérienne demandée. Il n’en fut rien, le gouverneur de Rhodes affirmant ne recevoir d’ordre que du Commando Supremo (l’état-major de l’armée de l’air). Finalement, une rencontre fortuite a lieu entre les deux flottes, tournant au désavantage des Italiens avec la perte du croiseur Colleoni. Après la bataille, le gouverneur de Rhodes sera démis de ses fonctions. 

Le renforcement de la Mediterranean Fleet 

Suite aux demandes de Cunningham après la bataille de Punta Stilo, la Royal Navy envoya des navires supplémentaire (le cuirassé Valiant, un porte-avions et plusieurs croiseurs) sur le théâtre Méditerranéen. Fait important, les arrivées du Valiant et du croiseur Ajax introduisaient le radar embarqué sur des navires dans cette région du monde. Avec ces renforts, la Royal Navy prenait le dessus numériquement et qualitativement sur la flotte italienne, sur mer et dans les airs. 

L’opération devait se faire en deux étapes : tout d’abord les renforts (Force F) partaient de Gibraltar alors que la force H partait d’Alexandrie, les deux forces devant se retrouver et faire le chemin retour ensemble vers l’Égypte. Pour autant la traversée ouest-est de ces renforts avant la rencontre aurait pu donner lieu à une bataille majeure. Le départ de l’escadre fut en effet annoncé par des espions italiens et elle fut rapidement repérée et suivie de loin par des hydravions de la Regia Marina. La flotte transalpine quitta alors Tarente dans le but de traquer les renforts, et elle fut alors repérée à son tour par les avions du porte-avions Eagle. Cependant, les ordres italiens n’étaient pas de chercher à tout prix l’engagement, comme toujours : il fallait barrer la route en cas de raid sur les côtes italiennes. Si l’idée avait été d’engager le combat par tous les moyens, la soirée du 31 août aurait donné lieu à une grande bataille navale. Il n’en fut rien, et les flottes anglaises purent se rencontrer sans encombre. 

Pour autant, les Italiens ne restèrent pas spectateurs. Le 2 septembre, malgré le mauvais temps, la Regia Aeronautica lança plusieurs raids sur cette flotte unifiée, sans succès. Les flottes anglaises s’étaient rejointes et partaient vers Alexandrie. En prévention, l’aviation embarquée anglaise effectua un bombardement de l'aérodromes de Rhodes. En retour, le 4 septembre, la Regia Areonautica attaqua à nouveau les navires anglais, toujours sans résultat. 

Ces opérations laissèrent encore un goût amer chez les marins Italiens, l’idée d’une occasion manquée. La marine a en effet, malgré la présence de la couverture aérienne anglaise, réussi à garder presque perpétuellement le contact avec la flotte ennemie, pendant que de son côté la Regia Aeronautica, réalisant toujours ses bombardements à très haute altitude comme si elle bombardait une cible terrestre, n’obtenait aucun résultat. De plus, l’ordre donné aux navires qui avaient quitté Tarente de garder une posture défensive suscitait de l’incompréhension. L’amiral Iachino s’en plaindra au général Badoglio en demandant une stratégie plus agressive. La réponse arriva le 16 septembre : le chef des armées affirmait que jusqu’à présent la stratégie était la bonne et obtenait les résultats attendus, à savoir la protection des lignes de communication vers l’Albanie et la Lybie, et que le rôle actuel de la flotte convenait parfaitement : celui d’une flotte en attente pouvant affronter l’ennemi au moment opportun. 

Le chef des armées fascistes n’avait aucune idée de l’impact que finirait par avoir l’arrivée de ces nouvelles forces... 

Quelques mots à propos du radar, première partie : l’Italie, comme toutes les puissances de l’époque, s’était intéressée à ces outils de détection encore embryonnaires, et des prototypes fonctionnels furent réalisés. Mais à l’image de leurs cousins français, les cadres de l’armée italienne n’appuyèrent pas pour soutenir le développement de ces appareils et l’Italie pris ainsi beaucoup de retard. Il est ainsi erroné de dire qu’elle laissa ce sujet totalement de côté. Chez les transalpins, on avait néanmoins pris peu à peu conscience de ce retard et on était informé des avancées de l’allié allemand. Avec l’autorisation de l’amiral Reader, des premiers éléments furent partagés à une délégation accompagnant l’amiral Cavagnari en 1939 quand il se rendit en Allemagne. Mais les efforts restèrent limités. Est-ce que l’idée que la guerre ne devait pas commencer avant 1942 empêcha les italiens de chercher à accélérer le développement de leur propre engin ? Ou bien ont-ils sous-estimé les avancées de leurs futurs adversaires ? Toujours est-il qu’en juin de l’année suivante, ils formulèrent une demande, plus insistante cette fois, pour obtenir un exemplaire de leur allié, sans résultat. En décembre, alors que les italiens commençaient à se douter que les anglais disposaient de tels appareils, on alla jusqu’à demander d’avoir au moins un prototype mais la demande resta sans réponse.  

La nuit de Tarente 

La Royal Navy étant sollicitée sur tous les fronts et dans tous les rôles, c’est justement le statut de cette flotte italienne “en attente” qui lui posait problème. Si les italiens évitaient l’affrontement, il fallait aller les chercher. Les anglais planifirènt ainsi une attaque de la rade de cette ville au creux de la Botte. L’action n’était pas une innovation en soit, ce n’était pas la première fois que des avions attaquaient une flotte au mouillage, les français en ayant fait l’expérience avec le Richelieu à Dakar quelques mois plus tôt. Néanmoins l’ampleur de l’opération, elle, était nouvelle.  

Initiallement prévue pour le 21 octobre, l’attaque sur la flotte Italienne fut reportée de plusieurs semaines à cause d’un incendie sur le porte-avions Illustrious. Le projet prévoyait plusieurs opérations (et l’utilisation de deux porte-avions pour le raid sur Tarente), y compris une attaque dans le canal d’Otrante par des croiseurs,  opération qui s’inscrivait dans le soutien à la Grèce, entrée malgré elle dans le conflit suite à l’invasion Italienne. Les anglais purent préparer leur coup en réalisant plusieurs vols de reconnaissance depuis la Crète et des porte-avions. 

Une telle activité ne passa pas inaperçue et leurs adversaires s’attendaient à une attaque prochaine. Il restait à savoir où... En face, l’opération fut revue, avec des moyens plus réduits. Néanmoins, le 6 novembre, c’est une belle escadre composée d’un porte-avions, quatre cuirassées et plusieurs navires d’escorte qui quitta Alexandrie pour réaliser... des opérations d’escorte de convoi. Le 10, l’escadre laissa ce rôle à des croiseurs et fila vers le nord. Entre le 6 et le 11, elle fut repérée et suivie puis attaquée à plusieurs reprises sans succès par la Regia Aeronautica. Dans le même temps, des rapports confirmaient que les grosses unités avait quitté Alexandrie et que les cuirassées Barham et le porte-avions Ark Royal était sortis de Gibralatar en direction de l’est. La flotte italienne fut mise en état d’alerte : des unités d’escorte furent envoyées patrouiller alors que les vedettes lance-torpilles devaient se tenir prêtes à sortir. L’état-major de la Marine, ayant détecté un intense traffic radio vers le sud-est, était sur le qui-vive. 

Néanmoins, malgré toutes ces précautions, ils ratèrent l’essentiel. La couvertue aérienne de la flotte anglaise avait fini par tenir à distance les avions de reconnaissance italiens qui ne purent donc constater que l’Illustrious et son escorte avait quitté leur escadre pour se mettre en position d’attaque. Dans le même temps, la reconnaisance avait confirmé la présence d’une flotte de deux cuirassés, un porte-avions, trois croiseurs et plusieurs navires d’escorte à environ 70 miles au nord-ouest d’Alger et se dirigeant vers l’est. Trois sous-marins furent déployés prêts à se mettre en ambuscade au sud de Malte et des avions torpilleurs furent déplacés en Sicile et parés pour lancer une attaque. 

Avec de tels éléments, se comprenant en danger de deux côtés, l’État-major italien avait donc tout fait pour bien se préparer, prêt pour une fois à prendre des actions offensives, mais sans ses grosses unités encore une fois. Les deux camps lancèrent donc des opérations offensives : les avions de l’Illustrious attaquaient – sans résultat - Cagliari alors que les italiens s’en prenaient - également sans résultat - à la force H venue de Gibraltar. Dans la soirée du 10, la reconnaissance retrouva la trace de la flotte anglaise au sud de Malte et une attaque aérienne - sans résultat - fut lancée. La flotte fut mise en état d’alerte avancée. À partir de là, les italiens ne devaient donc savoir trop où regarder, sollicités par toutes sortes de rapport. Un d’entre-eux prêta à confusion : un porte-avions anglais (l’Ark Royal) avait fait demi-tour vers l’ouest alors que d’autres avions survolaient régulièrement Tarente. Le soir du 11, finalement, 21 avions venus de l’Illustrious attaquaient la flotte ancrée dans la rade. 

Les dégâts furent importants : un premier cuirassé, flambant neuf, le Littorio, fut atteint par trois torpilles mais réussi à rester à flot malgré sa plage avant inondée. On se décida à l’échouer. Un deuxième, le Duilio, fut touché par une torpille qui causa d’important dommages. Son équipage dut se résoudre à échouer le bâtiment. Sur un troisième, le Cavour, le mauvais compartimentage et l’étanchéité incomplète des compartiments du navire cumulés à l’indécision du commandement fit que la tentative d’échouage arriva trop tard. Le navire coula. Au petit matin, posé sur le fond, ses superstructures et son artillerie principale émergeaient. En parallèle, le raid britannique dans le canal d’Otrante fut un succès. 

Comment une telle attaque avait-elle pu avoir lieu ? La base italienne était pourtant lourdement protégée par des batteries anti-aériennes (auxquelles pouvait se joindre celle de la flotte, autorisée à tirer à vue – mais pas plus tôt pour ne pas révéler la position des navires) et équipée de stations d’écoute qui repérèrent les deux vagues bien avant leur arrivée. Les raisons sont multiples, nous pouvons en citer deux pour commencer. La première, c’est que les bélligérants s’en rendront compte durant le conflit, une DCA même nombreuse aura toujours du mal en cas d’attaque aérienne. Même si la majeure partie des attaques sont repoussées, il suffit que quelques avions parviennent à lancer leur torpille pour obtenir des résultats significatifs. La seconde, c’est que les filets pare-torpilles qui protégeaient la flotte italienne ne touchaient pas le fond. Les Anglais avaient modifié les projectiles pour l’occasion pour qu’ils puissent passer dessous et atteindre leur cible. Le taux de réussite fut mitigé, mais cinq d’entre-elles y arrivèrent pour le résultat évoqué plus haut. Les Italiens auraient même pu faire face à de plus lourdes pertes, une seconde attaque étant prévue pour le lendemain, mais le mauvais temps fit renoncer l’amiral Cunningham.  

Les italiens étaient assommés ou enragés. La Regia Aeronautica fut lancée à la recherche de la flotte anglaise à l’origine de l’attaque, ce qui fut rapide. Du 12 au 14, trois appareils de reconnaissance furent abattus mais finalement une attaque d’avions torpilleurs pu être lancée, sans résultat. La flotte qui avait survécu à l’attaque fut déplacée à Naples et Palerme le temps d’installer des filets qui descendait jusque dans la vase de la rade. La flotte ne revint ainsi progressivement à Tarente qu’entre fin mars et début mai 1941 (le Littorio y restera au bassin pour réparation).  

Nous pouvons maintenant évoquer trois autres raisons, pas nouvelles : l’incapacité à tenir à distance la reconnaissance anglaise, la difficulté à garder la trace de l’escadre ennemie à cause des distances entre les bases terrestres et la destination à atteindre, et enfin l’absence de porte-avions dans les rangs italiens qui empêchèrent de lancer des attaques rapides sur la flotte ennemie et également d’escorter les avions de reconnaissance. Si les résultats de l’attaque anglaise furent survendus par la propagande alliée (un seul navire ne fut jamais remis en service et la flotte italienne ne resta pas longtemps loin de Tarente), les transalpins – et les observateurs étrangers furent saisi par l’audace de l’assaillant, les résultats tactiques et par la manière dont l’état-major italien s’était fait avoir. 

Mussolini, impressionné par le raid, donna l’autorisation de lancer officiellement des études pour la conception d’un porte-avions d’escadre, jusqu’alors, c’était les petits projets de conversion de croiseurs en porte-avions sans hangar ni capacité d’appontage qui étaient sujets aux débats. Néanmoins, si les études reprirent, elles furent encore longtemps perturbées par les interventions de la Regia Aeornautica qui était contre cette approche, mais également en partie par la Regia Marina qui faisait face à une multitude d’obstacles techniques. Mais le projet pourrait éventuellement être lancé. Ainsi, la Marine italienne gardait toute sa confiance en ses chances de chasser la Royal Navy de la Méditerranée, car malgré la nuit de Tarente, la Regia Marina était loin d’être KO, nous le verrons 

Une menace persistante : l’opération White 

En effet, 6 jours après Tarente, les italiens purent montrer à leurs adversaires qu’ils ne comptaient pas laisser de répit à la Royal Navy. Cette dernière avait pour mission de répéter une opération qui s’était déroulée en août : l’envoi de renforts aérien vers Malte. Un convoi quitta Gibraltar, incluant le porte-avions Argus qui portait les 14 appareils à livrer (12 Hurricane et 2 Skua). Quatre heures seulement après l’appareillage, l’état-major italien était averti par ses espions. La Regia Marina réagit immédiatement. Deux cuirassés (le Vittorio Veneto et le Giulio Cesare), survivants de Tarente, accompagnés de deux croiseurs lourds et plusieurs escorteurs quittèrent Naples et Messine pour intercepter l’escadre anglaise au sud-ouest de la Sardaigne. Les Anglais semblèrent avoir été informés et durent lancer le décollage des avions depuis l’Argus plus tôt que prévu. La malchance s’en mêla : des manques dans l’analyse des prévisions météorologiques, de forts vents de face combinés à des réserves de carburants qui n’avaient pas été prévus en conséquence et un manque d’expérience des pilotes sur le Hurricane amenèrent à un désastre :  seuls neuf avions atteignirent Malte et deux pilotes furent faits prisonniers après que leur atterrissage forcé près de Syracuse, à cour de carburant et sous le feu de la DCA. L’amiral Somerville, amer, notera après l’opération que vu le résultat, il était évident qu’il aurait fallu continuer 40 milles plus à l’est quitte à courir le risque de tomber sur des forces italiennes supérieures aux siennes. Dans cette affaire, l’aviation italienne ne put jouer aucun rôle. 

Bataille du Cap Teulada 

Quelques jours plus tard, le canon naval tonna cette fois. Et avec presque les mêmes acteurs. Suite à l’échec de l’opération White, une partie de la flotte anglaise revint vers Gibraltar pour se renforcer afin d’escorter un convoi vers Malte qui avait donc besoin de renforts. Bis repetita : les italiens furent rapidement au courant et les mêmes unités, complétées de quatre autres croiseurs lourds, prirent une route d’interception. Le 26 novembre, le torpilleur Sirio repèra une flotte de 7 unités britanniques. Ces derniers, également au courant de la menace qui pesaient sur eux, allèrent au contact de l’adversaire pour qu’il reste à distance des cargos du convoi. Le 27 au matin, un hydravion du croiseur Bolzano repèra à nouveau la flotte ennemie. Quelques minutes plus tard, c’est la présence de la flotte italienne qui est annoncée à l’amiral Sommerville. Cela tombait mal, les anglais était en infériorité numérique car ils n’avaient pas encore fait la jonction avec la flotte en provenance d’Alexandrie, mais ils n’eurent pas trop le temps de s’inquiéter, car cette dernière apparut à l’horizon quelques minutes plus tard : cette fois, bien qu’en force égales avec leurs adversaires, les anglais avaient le dessus grâce au bonus de la présence du porte-avions Ark Royal

Les ordres de Mussolini s’imposèrent alors à l’amiral Campioni. Ceux-ci étaient clairs, et toujours les mêmes : éviter un engagement sauf en cas de nette supériorité. L’amiral devait donc remettre en question sa tactique. Il décida alors de séparer sa flotte en trois groupes, dont un de croiseurs, pour mieux suivre la flotte ennemie et protéger la côte italienne et peut-être trouver un moyen de s’approcher du convoi par diversion. Quelques heures plus tard, un nouveau vol de reconnaissance d’un hydravion du croiseur Gorizia lui donnait cependant plus d’informations, et il prenait conscience que les forces étaient assez équilibrées. Il mesura ses chances et pris l’audace de vouloir engager le combat. Il demanda ensuite à ses croiseurs de revenir autour de ses cuirassés pour regrouper ses forces, cependant, ces navires-là commandés par l’Amiral Iachino étaient déjà au contact et le combat s’engagea à une distance de 23 500 mètres peu après midi. 

Si au début les débats semblaient équilibrés, la distance se réduisant, le nombre supérieur de canons côté transalpin mis la flotte anglaise sous pression. L’arrivée du cuirassé Ramilies aida un temps, mais trop lent pour suivre, les italiens pouvaient alors prendre l’ascendant. C’est à ce moment-là qu’arriva un ordre leur demandant de se désengager. Iachino fit mettre pleine vitesse et tirer un écran de fumée pour distancer ses adversaires. Les dégâts étaient limités - au regard du nombre d’unités présentes : côté italien, une salve tirée du croiseur Manchester avait mis hors de combat le contre-torpilleur Lanciere qui du être remorqué alors que de côté anglais, un obus de 203 mm tiré depuis un croiseur (Fiume ou Pola) toucha leur homologue le Berwick, qui fut touché à nouveau par un obus du même calibre une heure plus tard, tiré cette fois soit d'un autre duo de croiseurs (Trieste ou Trento). 

Pour autant, côté anglais, on ne considérait pas le débat comme clos. Onze avions décollèrent de l’Ark Royal et lancèrent une attaque sur le Vittorio Veneto mais ne mirent aucun coup au but. Pire encore pour les transalpins, le croiseur de bataille Renown pu s’approcher suffisamment pour encadrer deux fois le croiseur Trieste de ses salves, l’endommageant avec des éclats d’obus. L’avantage tourna court, puisque le Veneto entra à son tour dans la danse, tirant 19 coups (en 7 salves) à 27 000 mètres, encadrant à son tour le Manchester le Berwick et endommageant le premier avec des éclats. L’Amiral Holland, sur le Renown, qui commandait cette force, demanda à ses escorteurs de tirer un écran de fumée et de le rejoindre. De fait, après 54mn d’affrontement, la bataille était terminée, sur un match nul, et même dans un sens un petit revers pour les Italiens qui ne poussèrent pas au bout de leurs forces, loin de là. 

Cet affrontement laissera des traces des deux côtés : chez les anglais, Sommerville ne garda son poste que grâce au soutien d’autres amiraux car Churchill lui reprochait, 4 mois seulement après Mers-El-Kébir, un nouveau manque d’agressivité. La même chose fut reprochée, avec hypocrisie, chez son homologue Campioni. Mais personne n'était dupe : l’amiral Iachino, qui commandait les croiseurs qui l’accompagnaient, fera remarquer que cette sortie en mer était plus une démonstration de force pour regonfler le moral des troupes que de profiter d’une réelle opportunité d’affronter la flotte anglaise. 

Ici encore, l’impact des forces aériennes varia d’un camp à l’autre. Côté italien en tous cas, les avions devaient donc quitter la terre et arriver avec deux heures de retard sur le théâtre d’opérations alors que l’aviation embarquée anglaise était forcément plus réactive. Le constat s’imposait encore et toujours, le manque de porte-avions combiné au manque de collaboration entre les armes portait préjudice aux capacités italiennes qui pourtant purent encore montrer, par les résultats de leurs hydravions embarqué, l’intérêt d’avoir des avions sur place prêts à réagir. En fait, le seul fait d’armes de la Regia Aronautica sera d’avoir abattu un hydravion français qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment alors qu’il approchait de la côte africaine.  

L’attaque sur Tarente et les opérations des jours suivants montrèrent en effet comment les forces italiennes étaient incapables d’appliquer leur domination sur la Mare Nostrum, cette mer que certains qualifiait encore de “flaque d’eau” avant la guerre. Néanmoins, la timidité et les ratés tactiques et stratégiques ne masquaient pas pour autant la menace qui pesait sur les lignes de ravitaillement britanniques, ces derniers privilégiant toujours de contourner l’Afrique pour ravitailler l’Égypte et le Moyen-Orient. Le coup porté à Tarente ne suffisait pas aux anglais, et des grosses unités à sa disposition, l’amiral Cunningham ne libéra que le vieux et lent Ramillies pour rejoindre l’Atlantique. De l’autre côté, les convois italiens continuèrent de rejoindre la Lybie. Alors que cette année 1940 se terminait après 6 mois de guerre dans cette région du monde, le sort de ce dernier était bien indécis. Sur le long terme cependant, les amiraux italiens pouvaient s’inquiéter. Leurs ordres étaient toujours aussi contraignants, il n’y avait pas encore de porte-avions en vue (ni en construction ou même en projet) et les maigres ressources industrielles disponibles étaient détournées pour la réparation et la modernisation du Cavour, coulé lors de l’attaque sur Tarente. Au sujet du porte-avions, Mussolini semble avoir soudain complètement changé de point de vue quelques semaines plus tard. Lors du conseil des ministres du 7 janvier, il affirmera (peut-être à la surprise de certains) regretter de ne pas avoir poussé plus loin son “idée de construire un porte-avions mais c’est tout l’état-major de la Regia Areonautica qui était contre, continuant à affirmer l’utilité d’un tel navire en Méditerranée. Nous pouvons voir aujourd'hui qui avait raison !”. 

Gênes, encore 

Il a souvent été pointé que les italiens faisaient preuve de manque d’engagement - ce que la propagande anglaise, souvent pour rassurer ses troupes, vendra comme de la lâcheté, une idée qui subsiste encore aujourd’hui - mais un volet qu’il faut aussi savoir mettre en évidence et le manque de réussite. Sur ce point-là, l’opération Grog en est un bel exemple.

Cette opération puise ses sources dans le fait évoqué plus haut : l’état-major anglais avait bien conscience que le raid sur Tarente n’avait pas été assez concluant. Se basant sur de mauvaises informations qui laissaient croire que les navires endommagés étaient en réparation à Gênes (seul le cuirassé Duilio s’y trouvait), l’idée d’un raid fut lancée. Une première tentative eut lieu en janvier, débutant le 31. Deux bâtiments de ligne, un porte-avions, un croiseur et dix destroyers quittèrent Gibraltar. Ils avaient deux objectifs : l’attaque par des avions torpilleurs du barrage de Tirso en Sardaigne, puis le lendemain, un raid sur Gênes.  

La première opération se déroula comme prévu quoique sans résultat. Mais le très mauvais temps força l’escadre à opérer un demi-tour, les destroyers subissant de légers dommages. Au cours du raid, l’escadre anglaise fut repérée au sud des Baléares, et la marine italienne craignant un bombardement de la Sardaigne, mis sa flotte en état d’alerte, mais les Britanniques regagnèrent bien Gibraltar. Le 6 février, une nouvelle tentative eu lieu. Conscient que l’effet de surprise risquait d’être amenuit, l’amiral Sommerville fit partir son escadre vers l’ouest pour duper les espions italiens avant de prendre une route vers l’est et de passer au sud des Baléares pour faire croire à nouveau à un raid sur la Sardaigne. Le plan ne fonctionna pas du tout : l’amirauté italienne avait envisagé un raid sur sa côte ouest – cela s’était déjà produit en juin 1940 nous l’avons vu. C’est ainsi que trois croiseurs lourds et trois contre-torpilleurs furent envoyés de Messine à La Spezia et plusieurs reconnaissances aériennes lancées. Les choses se tendaient, les amiraux italiens ayant cette fois du flair : le soir du 8, l’ordre fut donné aux cuirassé Vittorio Veneto, Andrea Doria et Guilio Cesare d’être prêts à prendre la mer. 

En effet, le 9, l’escadre anglaise était passée au nord et les avions de l’Ark Royal, qui se trouvait alors à 70 milles des côtes italiennes, se lançaient dans un raid sur Livourne et La Spezia. Dans le même temps, sans être au courant du raid à venir, l’ordre fut donné aux cuirassées italiens de sortir pour rejoindre les croiseurs venus de Messine puis d’attendre le résultat des reconnaissances aériennes qui s’avérèrent juste quant à identifier la nature et la composition des forces britanniques. Mais où allaient-elles ? Sicile, Sardaigne, et pourquoi par le golf de Gênes ? L’amirauté italienne voyait juste là aussi et positionnait ses forces dans une zone pour être prêtes à intervenir dans les deux scénarios, déployant aussi des sous-marins. 

Le mauvais temps et la piètre qualité des échanges entre les services joua contre les italiens qui ne purent lancer de nouvelles reconnaissances aériennes pour continuer à suivre la flotte ennemie qui fut perdue de vue. Ce n’est que le lendemain vers 07h40 que la nouvelle du raid – sans grand résultat - sur La Spezia arriva, un peu avant le message annonçant que la flotte ennemie avait été repérée filant vers Gênes. Une heure et demie avait été perdue, car le premier signalement avait mené à la conclusion qu’il s’agissait d’unités amies... À bord du Vittorio Veneto, l’amiral Iachino qui n’avait pas toutes ces informations décida de lancer deux hydravions depuis ses croiseurs pour essayer d’en apprendre plus sur les intentions de ses adversaires. Une heure plus tard, l’amiral apprenait que Gênes avait été bombardée, une information déjà périmée. À partir de là, il lança de nouvelles reconnaissances tout en faisant route vers le nord, devant jouer avec son intuition, les nouvelles contradictoires et la possibilité que la flotte anglaise faisait route plein ouest en longeant la côte française. Elle faisait en fait route vers le sud-ouest à 22 nœuds. 

Finalement, à partir de nouvelles données, Iachino fit route au nord-est, espérant être sur une route d’interception ce, qui était le cas. C’est alors qu’une escadre ennemie fut signalée. Le Vittorio Veneto était prêt à ouvrir le feu depuis 32 000 mètres quand l’escadre en question fut reconnue comme étant en fait un convoi français. La perte de temps et le sale tour joué malgré eux par les français qui se trouvait au moment endroit (pour les italiens) au mauvais moment aura de lourdes conséquences : les italiens ne rateront l’escadre anglaise que de 30 milles. Ce ratage s’expliqua en partie par le fait qu’un avion de reconnaissance ayant effectivement trouvé la flotte Anglaise fut abattu par la chasse embarquée avant de pouvoir transmettre le signalement. L’équipage sera repêché par le torpilleur Masa. Les retards dans la communication avec les avions et les transmissions de données entre les parties envoyèrent au mauvais endroit deux hydravions alors qu’un autre ne passait qu’à 20 milles de la flotte anglaise. L’espoir de pouvoir trouver l’ennemi perdura une partie de l’après-midi avant de s’estomper en début de soirée. 

L’échec cuisant de cette interception ratée dans ses propres eaux, et le coup porté à la fierté italienne – c'était la deuxième fois que les alliés venaient bombarder Gênes... presque sans gêne - s’explique encore une fois par une conjonction de facteurs : manque de réactivité - pas de porte-avions disponible, mauvais temps, malchance et mauvaise communication. Pour ce dernier point, le mot de la fin de cet épisode est le plus criant : la Regia Aeronautica lança un raid contre l’escadre ennemie, qu’elle trouva, mais sans résultat, mais elle ne notifia la Regia Marina qu’après le retour des avions à leur base, plus de trois heures après les faits ! Enfin, rajoutons le rôle du nouvel invité dans ce théâtre d’opérations, invité que nous avons évoqué plus tôt : le radar. Grâce à lui et à l’aviation embarquée, la flotte anglaise a pu abattre plusieurs avions de reconnaissance italiens avant d’être repérée et altérer sa course afin de se dérober. Ainsi, ce raid audacieux et loin de ses bases, qui aurait pu tourner au désastre pour la Royal Navy – d'autant plus que la Luftwaffe s’était jointe aux opérations, se transforma en une victoire morale, embarrassant les états-majors italiens. 

Ces derniers reconnurent, avec aigreur vis à vis de leurs homologues de mer ou de l’air, que le manque de coopération était le responsable de ce fiasco. Néanmoins, encore une fois, aucune décision ne fut prise au niveau macro – c'est à dire par le tout puissant Mussolini – pour régler ce problème qui durait à présent depuis bientôt 8 mois et l’entrée en guerre de l’Italie sans aucune action corrective ne soit réellement prise malgré les échecs répétés. Fallait-il un désastre pour mettre un terme à la guerre des clans et que la marine puisse lutter avec les mêmes armes que son adversaire ? 

Et ce désastre allait très vite arriver... 

Matapan, le coup de massue 

Gaudo et Matapan, deux noms qui résonnent dans l’Histoire de la guerre en Méditerranée. Deux noms pour signifier le glas des grandes ambitions italiennes, du moins pour la première partie du conflit. 

Nous ne reviendrons pas trop sur le détail des opérations car cela prendrait beaucoup de temps, mais il convient quand même d’en rappeler les origines et les grandes lignes. D’un côté, celui des Anglais, il y avait la volonté de faire sortir les Italiens loin de leurs bases afin de leur infliger des dégâts importants, Tarente n’ayant clairement pas suffit. Du côté de l’Axe, on souhaitait soulager le front de Lybie et faciliter la prise de Malte en procédant à une opération ambitieuse qui devait faire mal à la Royal Navy. Pour cela, on impliquerait une escadre rapide avec la couverture aérienne depuis la Sicile, la Lybie et les îles du Dodécanèse avec la contribution de la Luftwaffe, permettant ainsi de frapper fort. La suite ? Une affaire de science (le déchiffrement des messages italiens par les anglais, l’utilisation du radar), de bluff (les anglais firent croire qu’ils n’avaient plus de porte-avions en Méditerranée orientale ou encore qu’ils n’étaient pas au courant des intentions italiennes) mais surtout de mauvaise communication (encore). 

Ce sera en effet le cumul de plusieurs fiascos du côté de l’Axe. Le coup de bluff des anglais au sujet de l’absence de porte-avions à Alexandrie sera gobé côté italien, aidé car un rapport allemand confirmait cette absence, mais aussi parce qu’un rapport contradictoire d’espions italiens fut ignoré à Rome... parce qu’il était contradictoire. Autre défaite du renseignement : les Italiens n'avaient pas encore de certitudes que les anglais possédaient d’unités équipées du radar.  

Mais la couverture aérienne de l’Axe aurait pu permettre de faire face à cet imprévu, en partie tout du moins : en effet, au niveau organisationnel, après les échecs répétés et la lenteur des échanges avec la Regia Aeronautica, la Regia Marina décida de réduire les délais en embarquant une équipe du chiffre à bord du navire amiral (le Vittorio Veneto) de l’Amiral Iachino afin de pouvoir obtenir les informations plus vite et par elle-même, mais également d’embarquer une équipe d’allemands pour communiquer avec la Luftwaffe qui devait donc participer à la couverture aérienne : le tout sera un échec, les avions de l’Axe ne jouant presque aucun rôle, ce qui aura un certain poids dans le désastre final. De plus, malgré toutes ces initiatives, la complexité des transmissions, encore, entre les différents échelons, combinés à des échanges peu fluides avec les allemands rendirent la situation encore plus difficile. Enfin, la Regia Aeronautica mis un point d’honneur à en rajouter : certains de ses avions n’utilisant pas les fréquences radio habituelles. 

Revenons donc en arrière pour évoquer rapidement le fil des opérations. Le siège de Malte a commencé depuis quelques temps car cette île est capitale pour les deux camps : elle servait de base intermédiaire pour les anglais qui pouvaient s’y arrêter en cas de traversée de la Méditerranée, et elle leur servait également de porte-avions qui permettait de menacer de plus en plus les convois de l’Axe vers la Lybie. Mais à cause du siège, le ravitaillement devenait donc de plus en plus compliqué pour les britanniques. Ces derniers ne furent cependant pratiquement pas gênés dans la partie la plus orientale de cette mer et c’est ainsi qu’ils purent débarquer des troupes et du matériel en Grèce pour porter secours à ce pays qui résistait à l’envahisseur italien. Pour le Duce et ses états-majors, il fallait intervenir. Dupés comme nous l’avons expliqué, une importante escadre composée d’un cuirassé (le Vittorio Veneto nous l’avons dit), six croiseurs lourds, deux croiseurs légers et plusieurs escorteurs quitta l’Italie le 26 mars et filait vers l’est, pour se porter plus loin que la flotte italienne ne s’était jamais aventurée dans ce conflit, pour frapper un coup sévère aux lignes de ravitaillement du front allié en Grèce. L’escadre se séparait en trois groupes avec chacun son secteur. 

À Alexandrie, l’amiral Cunningham fut mis au courant par les services de renseignement et fit rappeler un gros convoi parti vers la Grèce. Après avoir leurré les Italiens (fausse fête organisée sur ses navires puis départ en vitesse dès le 26 mars), son escadre composée notamment de trois cuirassés et un porte-avions parti vers le nord-ouest pour aller au contact de l’ennemi. Le lendemain, le 27, en milieu de journée un hydravion de reconnaissance envoyé pour les anglais pour confirmer la présence de l’escadre ennemie tout en faisant croire à ces derniers que la découverte serait fortuite (et non à la suite du déchiffrement de leurs messages) permettait de confirmer la présence d’une partie de la flotte transalpine au large de la Sicile. À bord du Veneto, Iachino ne pouvait que s’exaspérer : il savait ainsi qu’il allait devoir faire face à la flotte anglaise à un moment ou à un autre, sans connaître sa nature, et fit donc rappeler les deux autres groupes pour se rassembler à ses côtés mais en gardant encore une petite distance (une dizaine de milles nautiques) entre eux pour couvrir une plus grande zone. 

C’est le lendemain (28 mars) que les choses sérieuses commencèrent : un groupe de quatre croiseurs britanniques parti de Grèce pour accompagner le convoi rappelé en urgence en Égypte était repéré par un hydravion italien. Croyant tomber sur le convoi, Iachino envoya son groupe de croiseurs à pleine vitesse pour aller au contact. Un échange de coups eut lieu et les anglais, ne connaissant pas la composition de l’escadre adverse, se dérobèrent pour rejoindre le groupe de Cunningham alors que les italiens, après un début de poursuite, lâchèrent leurs adversaires. L’abandon de la poursuite donna l’intuition à l’amiral commandant les croiseurs britanniques que les italiens était peut-être en sous-nombre et ne voulant pas prendre de risque, et c’est ainsi que les croiseurs britanniques firent aussi demi-tour pour aller inverser les rôles et harceler leurs adversaires. Ils firent alors une mauvaise rencontre, le Vittorio Veneto entrant dans la danse, ouvrant le feu depuis 20 000 mètres. Encore une fois, les anglais durent fuir, se dérobant derrière un écran de fumée. Quelques 180 kilomètres plus loin, Cunningham apprenait ce qu’il se passait, et il lança en urgence un raid aérien sur l’escadre italienne pour soulager les croiseurs qui risquaient de se faire massacrer. C’est un premier tournant : les avions du porte-avions Formidable abattirent deux Junker 88 allemands de reconnaissance et attaquèrent - sans succès - la flotte italienne. Pour Iachino, c’était une mauvaise surprise : il comprenait que les Anglais avaient un porte-avions. Il prit donc la décision d’annuler l’opération et de faire demi-tour vers l’Italie. 

Mais ce n’était que le début. Cunningham, qui voulait profiter sa supériorité, autorisait le Formidable, plus rapide que ses cuirassés, à partir en avant et le faisait lancer un nouveau raid sur le cuirassé italien, toujours sans résultat. En retour, Iachino appelait la Regia Aeronautica à l’aide : deux SM.79 attaquaient le porte-avions anglais sans succès. Dans l’après-midi, le porte-avions anglais ralentissait pour laisser les cuirassés de Cunningham le rattraper, alors que ce dernier demandait de l’aide à la RAF basée à Malte qui à son tour attaquait sans réussite la flotte italienne. Il fit alors lancer une nouvelle attaque depuis le porte-avions, pour ne laisser aucun répit à ses adversaires. Le violent tir de barrage de DCA italienne fit encore effet, mais cette fois un avion torpilleur arriva à lâcher son projectile à seulement 1000 mètres du Vittorio Veneto avant d’être abattu. Mais le résultat était là : le cuirassé était atteint, sérieusement touchée dans une zone sensible et peu protégée, au niveau de l’hélice extérieure bâbord, le forçant un temps à stopper les machines, embarquant 4000 tonnes d’eau. Quand il put repartir, ce fut à vitesse réduite. Pour Iachino, les choses devenaient compliquées, le harcèlement aérien continuant et une nouvelle attaque anglaise parvenait à placer une torpille qui noyait les salles des machines du croiseur lourd Pola qui devait stopper alors que le reste de la flotte continuait sa route vers l’Italie, sans pour autant que Iachino soit au courant du sort du Pola. 

Ci-dessus : le Vittorio Veneto rentre en Italie après son torpillage.

Quand plus tard il apprenait que le Pola était immobilisé, il fit faire demi-tour aux croiseurs Zara et Fiume pour compléter l’assistance porté par des escorteurs au croiseur immobilisé et demandait l’aide de l’aviation. Mis au courant, Mussolini donna l’ordre de saborder le Pola s’il ne pouvait repartir. Mais vers 08h30, l'avant-garde anglaise localisait le Pola immobilisé, mais pas l’escadre de croiseurs de l’amiral Cattaneo qui arrivait en soutien. Cela laissant le temps aux cuirassés de Cunningham de se rapprocher à bout portant (environ 4000 mètres). Il faisait nuit, et les italiens, peu entraînés au combat nocturne et dépourvus de radar repérèrent l’escadre ennemie trop tard, et la prenant un temps pour des navires amis. Les anglais allumèrent alors leurs projecteurs et avec surprise découvrirent le nombre d’unités italiennes, ce fut le début d’une canonnade qui tourna au massacre, les navires de la Regia Marina encaissant un déluge de feu. Dans l’urgence, les escorteurs tentèrent de déployer un écran de fumée pour masquer les gros navires. 

Cet épisode sera d’ailleurs l’occasion de nouvelles démonstrations du courage des marins transalpins – trop souvent décrits comme désinvoltes : le Pola, dont l’ordre de sabordage avait été donné mais dont une partie de son équipage avait quitté le bord, fut canardé par un croiseur anglais. L’équipage opéra alors un demi-tour et revint à bord pour combattre les incendies. Le navire fut finalement évacué par les anglais qui montèrent à bord et achevèrent le croiseur à la torpille. 

Sur le Zara, immobilisé par les dommages, l’amiral Cattaneo demanda s’il était possible d’obtenir un quelconque support. C’était évidemment trop tard, et il donna l’ordre à ses propres navires d’achever son croiseur. De son côté, le Fiume, bien qu’encore capable se déplacer, fut ravagé par les flammes et alors qu’il prenait toujours plus d’eau. Il fut abandonné alors qu’il coulait. Des deux escorteurs qui avaient tenté de masquer les croiseurs, un seul pu s’échapper, alors que l’Alfieri, touché dans ses machines et immobilisé, balançait tout ce qu’il avait aux Anglais. Son commandant refusa de quitter le bord alors que le navire coulait. Également immobilisé, le Carducci était sabordé par son équipage. 

Cunningham envoya des avions à la recherche du Veneto mais le ne trouva pas et abandonna la poursuite alors qu’un de ses hydravions guidait un navire-hôpital Italien vers les lieux. Arrivé à Tarante, Iachino apprenait la nouvelle du désastre de ses croiseurs et la mort de Cattaneo. Sur le retour, les forces de l’Axe essayèrent d’harceler l’escadre anglaise : si un raid de Junker 88 manqua de réussite lors de l’attaque du Formidable, un sous-marin italien coula le croiseur anglais Bonaventure

La conclusion ? L’opération offensive espérée par l’Axe se soldera donc par la perte de trois croiseurs lourds - piégés de nuit par le radar des cuirassés anglais – et de sérieux dommages au Vittorio Veneto, dommages causés par l’aviation embarquée anglaise du porte-avions Formidable, 2300 morts dont un amiral, et un sérieux coup au moral, celui de trop, chez les Italiens 

Le désastre de Matapan aura de sérieux impacts, et pas uniquement sur le moral des Italiens pour qui un nouveau revers et aucune victoire en 9 mois de conflit, devaient reconnaître la supériorité matérielle, technique et d’entraînement au combat de nuit aussi, de leur adversaire. Le 31 mars, Iachino fut reçu directement par Mussolini à Rome. Le Duce, bien qu’agacé, insista sur le fait que l’opération était justifiée et que c’est le fiasco organisationnel qui était à l’origine de la défaite de la Regia Marina. Le chef de l’État, lassé lui aussi du manque de résultats de la Regia Aeronautica, donna cette fois officiellement - ce n'était plus des mots - alors l’autorisation de mettre en chantier un porte-avions. En attendant, faute de mieux, la Regia Marina, clairement inférieure tactiquement aux anglais et sans radar, devrait éviter le combat de nuit, ne pas s’éloigner au-delà de la couverture aérienne des chasseurs de l’armée de l’air. Autrement dit, sur le moment, cela signifiait passer un à deux ans sur des actions purement défensives. Les effets de ces instructions, encore une fois de l’absence de porte-avions, seront mesurable en septembre suivant quand la marine italienne, pourtant en supériorité numérique, ne tentera pas d’attaquer un important convoi qui devait ravitailler Malte car les reconnaissances de la Regia Marina avait détecté la présence du porte-avions Ark Royal dans le convoi. De son côté, la Regia Aeronautica avait pourtant fait tout ce qu’elle pouvait en multipliant les attaques, et un des ses avions, celui du commandant Buri, parvint à placer une torpille dans le cuirassé Nelson qui sera indisponible 6 mois. Un des officiers du cuirassé anglais reconnaîtra après coup le talent et surtout l’audace des aviateurs italiens. Il convient d’ailleurs de rappeler leur courage, car cet article pourrait paraître comme un document à charge, il n’est rien, c’est à leurs responsables que les critiques s’adressent ! 

Après Matapan, il semble qu’au fil des mois Mussolini avait enfin fini par arrêter sa décision au sujet du porte-avions, après des années d’indifférence. Néanmoins, cette prise de position ne concerna que la Marine. Mussolini voulu-t-il ménager son ministère de l’air ? Ce dernier, encore au début de 1942, continuera de faire du lobbying auprès du Duce pour lui faire comprendre qu’un porte-avions était inutile et encombrant et soulevait toujours de nombreuses interrogations d’ordre technique. Comme si les chefs de l’armée de l’air italienne avaient vécu en vase clos pendant deux ans et ainsi ignoré ce qu’il se passait sur le terrain. 

Si il était clairement consciente de son impréparation matérielle à la guerre, il faudra cependant attendre donc 9 mois et le désastre de Matapan pour que le haut commandement italien commence à prendre la mesure non seulement de toutes les doctrines du conflit moderne, mais également des effets des décisions prises par le Duce. Au mois de mai 1941, des émissaires japonais vinrent à Rome – certains étaient déjà sur place depuis plusieurs mois – pour discuter avec les italiens de leurs observations sur le conflit naval, mais également pour analyser sur place les causes et les conséquences de l’attaque britannique sur Tarente en novembre de l’année précédente. A partir de cette période, la Regia Marina allait tenter de prendre en main son destin en prenant d’un côté le temps d’analyser les causes de ses revers, causes pour certaines déjà bien identifiées, mais également d’accélérer les échanges d’informations avec ses alliés, qui étaient jusque-là quasi-inexistant. Mais le temps pressait. 

Quelques mots à propos du radar, seconde partie. Il fallut attendre une conférence entre chefs militaires de l’Axe, peu après la bataille de Matapan, pour que les échanges à ce sujet reprennent à nouveau. Entre-temps, on avait augmenté les moyens – et la pression – sur l’équipe qui travaillait sur un appareil fait en Italie. En avril, alors que la Regia Marina avait eu la confirmation – en déchiffrant des messages anglais après Matapan – que leurs ennemis disposaient du radar, les premiers résultats intéressants furent obtenus : le radar made in Italie - à partir de composants allemands - pouvait détecter un navire de taille moyenne jusqu’à 12 kilomètres. Le même mois, les allemands donnaient leur accord pour commencer à livrer des radars à leur allié. Mais il faudra attendre, après bien des problèmes et des discussions stériles avec l’allié allemand ainsi qu’une compétition avec la Regia Aeronautica, l’année 1943 pour que l’on commence à installer des radars en série sur les navires de la Regia Marina. Le dernier modèle, le Gufo III, disponible début juillet de cette même année, pouvait détecter un navire jusqu’à environ une vingtaine de milles nautiques (selon la taille de la cible et le navire qui portait le radar) et un avion jusqu’à 24 milles. 

À propos de déchiffrement, si les Italiens réussirent également dans ce domaine par moment, les anglais prirent une avance majeure avec leur unité ULTRA qui permettait de déchiffrer les communications ennemies, permettant souvent d’avoir un coup d’avance. D’après une étude, c’est 185 navires marchands italiens et 9 navires de guerre qui furent coulés grâce aux informations obtenues par ULTRA, soit environ la moitié des pertes transalpines. Cette capacité à prendre les devants aura un impact même après-guerre, dans la littérature : comme les anglais garderont secret le projet ULTRA pendant plusieurs décennies, les évènements passés menèrent à des interprétations diverses. Ainsi, pendant longtemps, des italiens restèrent persuadés de la présence de nombreux traitres dans leurs rangs, là où des historiens clamèrent simplement la supériorité de la Royal Navy. 

Bibliographie sélective


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