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La marine italienne et le porte-avions, cinquième partie : l’urgence et le crépuscule 1941 – 1943, et des projets de tous bords

Article posté le 26-03-2024 dans la catégorie Histoire et Technologie

Article mis à jour le : 31-03-2024

Dans ce dernier chapitre, abordons les chantiers et derniers projets de porte-avions de la Regia Marina.

L’état-major italien tenta alors, devant l’accumulation de mauvais résultats sur ses différents théâtres d’opérations, de revoir ses approches, profitant notamment du changement d'avis du Duce au sujet du porte-avions. Du changement eu lieu à  la tête de la Regia Marina et on décida de concentrer les ressources industrielles sur les chantiers importants pour précipiter l’entrée en service de nouvelles unités qui pourraient l’aider à renforcer sa position dans le conflit et enfin pouvoir mener une guerre avec plus de latitude (ordres du Duce) et de coordination (air-mer) et avec des outils adaptés (porte-avions et radar).

Les premiers travaux de conversion commencèrent sur le Roma, sortie de son attente à Gênes. Le projet fut encore revu afin d’effectuer une conversion rapide en huit à dix mois tout en bénéficiant des études déjà faites par le passé. Cependant, seulement deux semaines plus tard, la Regia Aeronautica rappela qu’elle n’avait ni avion existant capable d’être adapté pour être utilisé sur un porte-avions ni aucune étude dans ce sens. Rien de plus étonnant quant au regard de sa position jusqu’alors, et qui allait perdurer nous l’avons déjà dit. Cela ne refroidit pas la Regia Marina qui obtint un design final en juin : une coque de 202 mètres de long, bulgée et au double fond remplit de ciment, de nouvelles machines, pour un porte-avions à pont d’envol continu avec îlot pour un total de 25 000 tonnes et une vitesse maximale de 30 noeuds. Une concession importante : il n’y avait aucun blindage de prévu. Le parc aérien prévu devait compter 34 chasseurs. Le projet fut validé et les travaux commencèrent à la mi-juillet au chantier Ansaldo de Gênes, alors que de son côté la Regia Aeronautica annonçait reprendre les études d’un avion aux ailes pliables. 

Néanmoins l’Italie payait son aveuglement des années précédentes, et elle n’était pas prête à concevoir ce porte-avions aussi vite qu’elle l’espérait. C’est ainsi que le design sera modifié plusieurs fois, avec notamment une révision de la compartimentation, qui sera augmentée, un allongement de la coque et une reconstruction de la proue, l’ajout de catapultes fournies par l’allié allemand, et la protection du hangar avec des portes coupe-feux. Ces modifications doivent d’ailleurs beaucoup aux différents échanges avec les marines allemande et japonaise. La dernière version du navire, qui était alors presque achevé, et qui entre-temps avait été renommé Aquila (Aigle) donnait un beau vaisseau de 231 mètres de long avec un pont d’envol de 211 mètres, filant toujours 30 noeufs et capables d’embarquer 38 à 51 appareils selon les configurations. Les travaux avaient pris du retard non seulement pour pouvoir tenir compte du retour d’expériences des japonais dans le Pacifique, mais aussi parce que les matériaux et la main-d'oeuvre manquaient. Entretemps, le chef de la Regia Aeronautica, le général Pricolo, avait été remplacé par le général Rino Fougier, beaucoup plus enclin à la collaboration avec les marins, ce qui semble avoir aidé. De leur côté, les alliés semblent avoir été au courant de ce chantier et plusieurs raid visèrent, sans succès, les chantiers navals de Gênes. L’Aquila fut déplacé dans une zone mieux protégée et le vieux croiseur Cornelio Silla pris sa place, après avoir reçu un faux pont d’envol en bois pour donner le change. Côté aérien, les premiers essais sur une réplique du futur pont d’envol de l’Aquila donnaient satisfaction avec des versions modifiées des G50 et des Re2001. Fin 1942, les avions étaient considérés comme matures et on commença la fabrication de série. 

Lignes de l'Aquila

Ci-dessus : les lignes de L'Aquila

Les marins italiens avaient aussi relancé un second projet complet en parallèle, car là aussi il s’agissait d’un précédent projet mais actualisé : le 1er juillet 1942, ils saisirent le paquebot Augustus, quasiment jumeau du Roma, pour en faire également un quasi jumeau de l’Aquila, mais avec un plus grand parc aérien. Là-aussi le navire serait renommé... deux fois : d'abord avec le nom de Falco, mais finalement il s’appellerait Sparviero (Épervier). Les travaux débutèrent en septembre de la même année avec l’arrasement des superstructures. Le manque de matériel, de main d’œuvre et le fait que les allemands soient un moment plus réticents à fournir les Italiens en matériel de ce type (ils envisageaient alors eux-aussi de se remettre à faire des porte-avions) força à rapidement revoir le projet à la baisse : le bâtiment deviendrait un gros porte-avions d’escorte. Le bateau, avec sa coque bulgée, aurait mesuré 218 mètres de long, aurait eu un pont d’envol de 180 par 25, pour une vitesse maximale de 18 nœuds assurée par quatre moteurs diesel et aurait eu un parc aérien d’environ 35 appareils. 

Sparviero

Ci-dessus : la comparaison entre le paquebot et le nouveau projet de conversion en porte-avions

Mais ce n’était pas tout. L’urgence aidant, les italiens regardaient dans toutes les directions. À l’instar des allemands qui décidèrent de convertir certains de leurs croiseurs légers ou bien le croiseur français De Grasse, encore dans sa cale de construction à Lorient et achevé à environ 28%, les transalpins envisagèrent aussi des conversation “rapides” de coques disponibles afin de se doter de petits porte-aéronefs qui pourrait aider à inverser le sort du conflit. Durant l’année 1942 et au début de 1943, plusieurs options furent ainsi sérieusement envisagées et les projections actualisées au regard des dernières avancées et de ces nouveaux projets. Ainsi, en janvier 1943, les perspectives étaient les suivantes : 

Aux deux derniers s’étaient aussi mêlés les projets de conversion de trois pétroliers (les Sterope, Sergio Laghi et Giulio Giordani) en porte-avions légers avec un pont d’envol de 150 mètres par 23 pouvant embarquer quinze appareils, mais la réflexion ne fut pas plus aboutie et comme pour le Bolzano et le Foch, rien de concret ne fut jamais entrepris. 

Projet de conversion du Bolzano

Ci-dessus : schéma de la conversion proposée pour le Bolzano qui avait failli couler à la suite de son torpillage par le sous-marin anglais Unbroken en août 1942. Sauvé des incendies grâce à la ténacité de son équipage qui finira par l’échouer sur une île au large de la Sicile, il sera remorqué à Naples puis à la Spezia en attendant son sort. Le projet de conversion impliquait de retirer les superstructures à l’avant en même temps que les tourelles avant de 203mm, ainsi que de séparer latéralement la cheminée avant pour laisser place à un pont d’envol. 

Le croiseur Foch sabordé

Ci- dessus, le croiseur français Foch sommairement sabordé à Toulon. La conversion est proposée car la coque est en très bon état, le sabordage s’était limité aux machines qui devront être remplacées. Étant donné les délais de conversion annoncés, on peut supposer que le projet aurait été plus élaboré que pour la conversion du Bolzano. 

Car en effet, au-delà de ces souhaits, l’Italie devait toujours faire face avec plusieurs réalités. Celle de la guerre, celle des luttes intestines, celle du manque de ressources pour son industrie, et celle des directives parfois ambiguës du Duce. Toujours... Malgré les revers et la vilaine tournure du conflit, le Duce allait encore tenir des propos déconcertants. En avril 1943, lorsqu’il se fit sonder quant à la suite à donner à la réparation et la modernisation du cuirassé Conte Di Cavour, coulé à Tarente en novembre 1940, renfloué difficilement en juin 1942 et dont on profitait de la remise en état à Trieste pour revoir toute la DCA et une partie du compartimentage, il répondit par les propos suivants : 

« … il y a des besoins politiques, ainsi que de prestige, envers nos alliés et au regard de nos ennemis, qui nous obligent à accélérer la remise en service du Conte Di Cavour, aussi, aucune diversion de ressources et de matériels ne sera autorisée… ».  

Les estimations permettaient de penser que le navire serait de retour en service pour l’automne 1943. Pour la marine, la remise en service du vieux cuirassé, même encore modernisé, ne serait d’aucune aide dans le conflit : par le type même du navire, devenu presque inutile sans couverture aérienne, mais également parce que ceux qu’elle comptait déjà en service, étaient cloués dans ses ports par manque de carburant. Par exemple, l’Andrea Doria, de la même époque que le Cavour, servait de navire école à quai. 

Ci-dessus : Tarente, le 12 juillet 1942, le Cavour, très allégé, a été remorqué à travers le canal de Tarente et est mis dans un dock flottant pour examiner les dommages. Et un an plus, tard (ci-dessous), il était en cours de réparation et modernisation à Trieste.

Cet aspect délirant des décisions du Duce, bien que devenu habituels, arrivait à exaspérer les chefs militaires et les cadres du régime, d’autant plus que nous l’avons maintes fois mentionné, qu’en cumulant le rôle de chef du gouvernement de la moitié des ministres de ce dernier, Mussolini pouvait parfois prendre des décisions contradictoires entre-elles. Mais en arrière-plan de ces projets qui allaient du concret et sérieux (Aquila, Sparviero) à de simples projections (conversions de croiseurs et de pétroliers), et au milieu de ces luttes intestines, un autre gros projet était très sérieusement étudié. 

Le 14 mai 1938, les chantiers Ansaldo de Gênes avaient mis sur cale le quatrième cuirassé de la classe Littorio : le mal-nommé Impero (Empire). En effet, alors que le Roma, un de ses jumeaux, était mis sur cale à Montfalcone quatre mois plus tard et fut achevé en juin 1942, l’Impero ne le sera jamais, condamné par son nom et son lieu de conception. Le navire était en effet prêt à être lancé dès le 15 octobre 1939, donc dans les temps, mais l’intervention du parti fasciste gâcha les plans : il voulait lancer le navire le 28 octobre pour fêter l’anniversaire de la Marche sur Rome, et ce malgré le risque de rencontrer de moins bonnes conditions météorologiques. Et cela se produisit : il fut impossible de procéder à l’opération avant mi-novembre, on se décida à faire une cérémonie le 5 et la mise à flot eu lieu le 15. Ce n’était que le début des ennuis. 

La mise à l'eau de l'Impero le 15 novembre 1939.

Lorsque la guerre approcha, on décida de déplacer le navire vers Trieste car Gênes était considéré comme trop proche de la France (une intuition qui se révèlera être bonne nous l’avons vu). La construction n’était pas assez avancée et on dû effectuer quelques travaux de compléments (lestage) avant de la prendre en remorque. Arrêté pour étape à Brindisi le 9 juin, on décida de na pas continuer car le lendemain le conflit éclatait et le remorquage, à seulement 4 nœuds, était trop périlleux. Le problème était que le port n’était pas équipé pour achever le navire. Pour les mêmes raisons de sécurité, on ne décida pas à le renvoyer à Gênes pour achèvement malgré la défaite de la France. La carrière du cuirassé semblait terminée avant d’avoir commencée. Mais grâce à l’insistance de certains, on amena plusieurs matériaux, équipements (chaudières, turbines, blindage, appareil à gouverner) et bien sûr des ouvriers afin que la construction puisse reprendre et être avancée suffisamment afin que le navire puisse de lui-même naviguer assez rapidement vers Trieste. Ce transfert nécessita des efforts importants, notamment au niveau des véhicules et infrastructures pour permettre le transfert de composants imposants (les turbines). Les travaux furent donc assez lents, et il faudra attendre le 22 janvier 1942 pour que le cuirassé inachevé puisse quitter le port des Pouilles, escorté par plusieurs petites unités et une couverture aérienne constante. À un bon rythme (16 noeuds) il put ainsi atteindre Venise en toute sécurité le 23. Mais ce n’était pas la fin des difficultés : nous l’avons vu l’Italie manquait déjà cruellement de ressources, le transfert des matériels et équipements requis pour son achèvement pas encore complètement terminé, et c’est ainsi que l’Impero, parmi les derniers sur la liste des priorités de marine, resta à Venise pendant 10 mois et l’attente de son sort. Il ne fut transféré à Trieste qu’en décembre, rejoignant le Cavour toujours en réparation. Les travaux reprendront alors mais étant donné sa priorité, ils n’avancèrent que lentement. En juillet 1943, la coque n’était achevée qu’à 88%, les machines à 76 et les équipements divers à 28. 

Mais durant ces péripéties, certains avaient déjà commencé à envisager un autre destin pour ce navire. Au printemps 1941, juste après la validation du projet de conversion de l’Aquila, un autre projet de porte-avions fut abordé avec les cadres du chantier naval de Gênes. Mais il faudra attendre le mois de septembre de la même année pour que l’on nomme officiellement l’Impero, donc pour une conversion. Pour autant, l’idée de le finir en cuirassé comme initialement prévu n’était pas écartée. Ainsi, jusqu’à la fin du conflit, les ingénieurs travaillèrent sur la conversion du cuirassé, abordant tous les points (nouvelle proue, utilisation de catapultes, nouveau gouvernail, différents types de canons, radars...). Le projet, et ses variantes, était très développé, dont une maquette et des plans ont subsisté, montre un imposant porte-avions à proue fermée, un îlot et une cheminée dont les lignes rappellent les autres navires italiens de la période, pour une apparence qui fait un peu penser à un mélange du Victorious anglais et du Shinano japonais.

Ci-dessus : une maquette d'un des projets de conversion de l'Impero, visible au musée de Gênes.

Au niveau des caractéristiques, le navire était au niveau de ses homologues étrangers. Mais le chantier ne sera jamais commencé. Dans une de ses dernières projections, le porte-avions de 45 000 tonnes aurait été équipé d’un pont d’envol de 240 mètres par 42,7 avec un tremplin au bout, et un blindage d’environ 20 centimètres. L’armement, qui semble avoir été le sujet de maintes réflexions, aurait été principalement composé de six canons double usage de 120mm (en tourelles simples). La proue aurait été complètement reconstruite par rapport à celle prévue pour le cuirassé (qui de plus avait encore celle d’origine qui avait depuis été revue pour les trois autres unités de sa classe) et aurait eu un important bulbe d’étrave. Les machines prévues pour le cuirassé auraient été conservées mais de nouvelles hélices installées. 

Mais ce n’était pas tout. En 1943, une variante intéressante du point de vue historique fut étudiée. Comme dans bien des domaines (radar, moteur à réaction), l’Italie n’était pas en reste dans le secteur des fusées guidées par radio ou programmées, soit pour de la reconnaissance soit pour la lutte anti-aérienne, et plusieurs tests furent effectués pendant la guerre. Mais le manque de crédit et le désintérêt de l’état-major ne poussèrent pas plus loin le développement de ces armes, tout comme pour le moteur à réaction. Les Italiens avaient des compétences dans ce domaine – certains avaient travaillé avec les allemands avant-guerre sur un projet qui aboutira au tristement célèbre V1 – et continuèrent donc leurs recherches dans ces activités, travaillant eux-aussi sur les bombes guidés (dont la version allemande coulera le cuirassé Roma). Et c’est ce domaine rejoignit alors le projet de conversion de l’Impero : sur des variantes de plans, les ingénieurs semblent avoir prévu une petite catapulte, avec derrière un ascenseur dédié, pour que le navire puisse lancer des appareils télécommandés (bombes guidées) ou programmées (équivalents de V1). Cela dépondre toutes les possibilités qu'avaient envisagés les ingénieurs italiens. Quant à l'Impero, les travaux furent arrêtés à la reddition italienne. Les allemands l'utilisèrent pour des tests d'explosion sous-marine avant de le couler. Il fut relevé après la guerre et démoli.

Ci-dessous : Venise, 1949, la coque renflouée de l'Impero en route vers la démolition.

Mais, hormis les deux projets de l’Aquila et du Sparviero déjà commencés, les autres n’eurent jamais de concrétisation. Si Hitler de son côté avait mis un terme aux projets de conversion – et des unités de surface en général, dès janvier 1943, c’est le manque de ressources puis l’effondrement de l’Italie de Mussolini qui mis un terme à l’ambition, enfin assumée, d’avoir un porte-avions. Quand l’Italie signait l’armistice, seul l’Aquila était proche d’être achevé et aurait pu entrer en service dans les mois qui suivaient, les essais de décollage et d’appontage devant démarrer en octobre 1943. Lorsque les Italiens reprendront possession du port de Gênes le 16 juin 1945, ils trouveront le navire toujours à flot mais avec une légère gite probablement causée le 18 avril précédent par l’explosion des charges sous-marines abandonnée à proximité lors de l’attaque ratée par des plongeurs italiens qui voulaient couler le navire. Quant au Sparviero, capturé lors de la reddition dans un état peu avancé, il fut coulé par les allemands début octobre 1944 pour bloquer l’entrée du port de Gênes. 

Ci-dessus : l'Aquila en 1950.

Ainsi s’achevaient les rêves de la marine italienne de se doter de porte-avions. Il faudrait encore attendre environ 40 ans pour que le sujet soit enfin concrétisé avec la mise en service du Giuseppe Garibaldi

Bibliographie sélective


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