Dynamic-Mess.com


"The world is a dynamic mess of jiggling things..."

Les navires français à  Mers-El-Kébir le 3 juillet 1940 lors de l'opération Catapult - 1ère partie

Article posté le 02-11-2014 dans la catégorie Histoire et Technologie

Article mis à jour le : 14-08-2022

Analyse des dégâts subits par les navires français qui se trouvaient à  Mers-El-Kébir lors de l'opération Catapult le 03 juillet 1940.

Mers-El-Kébir est un de ces noms qui rappellent de sombres et douloureux moments de l'histoire de France : L'armistice de 1940 et ce qui s'en suit.

Néanmoins, il est impossible de juger cette situation de manière simple, tant elle fait appel à des situations et des sentiments complexes dans les deux camps.

Le but de cet article n'est pas du tout de porter un jugement sur l'ensemble de ces évènements, de toute façon le sujet a été abordé des dizaines de fois dans des ouvrages français et anglais, mais principalement d'aborder les dégâts subits par les navires français qui se trouvaient dans la rade de Mers-El-Kébir, à l'ouest d'Oran, les 3 et 6 juillet 1940. Néanmoins, il contient tout de même une introduction au sujet.

1- Préambule et contexte

Quand on pense à Mers-El-Kébir, on pense au nombre élevé de victimes. Ces marins qui auraient très certainement voulu - du moins en majorité - continuer la lutte contre les nazis et les facistes italiens malgré l'armistice, sont morts dans des conditions d'épouvante, sans gloire, et avec - à part pour les passionnés ou les frères d'armes - le bonus du droit à l'oubli. Les 1297 marins français morts pour rien ces 3 et 6 juillet 1940, ont été les victimes d'évènements qui les dépassaient et sur lesquels ils n'avaient aucune influence, résultant d'une situation qu'il convient de rappeler.

Le 22 juin 1940, le gouvernement français signe un armistice avec l'Allemagne après une campagne militaire désastreuse de 6 semaines, qui malgré la résistance souvent acharnée des soldats et aviateurs français, n'a fait mettre qu'en exergue son manque de préparation et son absence de stratégie quant à utiliser des moyens modernes dont elle disposait pourtant en nombre. Suivant les évènements plutôt que de tentant de les provoquer, doté d'une mentalité sclérosée et piloté par un gouvernement ultra-pacifiste qui change tous les 6 mois depuis vingt ans, l'Etat-major est incapable de sauver le pays, et se croyant trop vite battu, condamne le pays à l'occupation. En demandant puis en signant cet armistice, la France devient le seul pays envahi à le faire. Il entre en vigueur le 25 juin, conjointement à celui signé, avec encore plus d'amertume, avec l'Italie la veille.

En faisant ceci, le gouvernement français, n'est plus à une contradiction près. Selon les termes d'un témoin de l'époque, la réunion du gouvernement préalable à la signature de l'armistice ne ressemblait ni plus ni moins à une nouvelle réunion de crise dont la fragile mais durable et agonisante IIIème république était coutumière, et dans laquelle la défaite de 1940 puise grandement ses sources. Passons sur le fait que la France dispose alors d'un immense empire colonial, qui même que très mal préparé (voir pas du tout dans certains cas) à la conduite d'une guerre, aurait pu servir de nouvelle base pour la conduite des hostilités. Passons sur le fait qu'une  majorité de parlementaires de la République ont voté les pleins pouvoir à un militaire, âgé de 84 ans, trahissant leur mandat accordé par les citoyens français sous la République pour mettre une place une dictature, un état fantôme, déclaré officiel mais piloté par les allemands, avec à sa tête un homme du XIXème siècle qui croyait pouvoir traiter avec Hitler comme il l'aurait fait avec Guillaume II.

A ce moment là, l'état de la flotte française est assez contrasté. Une petite partie à fuit en Angleterre, comme les vieux cuirassés Courbet et Paris - ce qui signe la fin de leur carrière active - ou encore le sous-marin Surcouf, ou dans les ports de l'empire colonial comme les deux cuirassés inachevés le Richelieu et le Jean Bart, respectivement à Dakar et Casablanca. Tout ceci sans compter les unités déja stationnées dans ces ports, comme les croiseurs Georges Leygues et Montcalm à Dakar, le Lamotte-Picquet en Indochine... A cela, il faut aussi ajouter la force X comprenant quelques unités comme le croiseur Duquesne et le cuirassé Lorraine, stationnée à Alexandrie, l'Egypte étant alors une possession britannique.

Cependant, la majorité de la flotte française est encore en France, dans le sud de la métropole, ou ancrée dans les départements français d'Algérie. C'est ici que nous en arrivons à notre flotte, dite force de raid, rassemblée depuis fin mai dans un port à l'ouest d'Oran.

Mers-El-Kébir (le grand port en arabe), est un port militaire en travaux, d'ailleurs loin d'être achevés. Il s'agit également d'un port sans protection importante, l'artillerie côtière étant éparse et sans aviation de soutien car celle-ci a été désactivée suite à l'application - avec zèle - des conditions d'armistice. Néanmoins l'absence de protection n'est pas censée être un problème: en temps de guerre, il est impensable que des navires de surface puissent s'approcher suffisament des côtes sans être détectés, et maintenant, la France est en dehors du conflit. Un certain laxisme va s'installer et on commence à démobiliser le personnel, et personne ne va prêter attention aux manoeuvres britanniques.

La flotte comprend notamment plusieurs contre-torpilleurs, le transport d'hydravions Commandant Teste, mais surtout quatre cuirassés, répartits en deux divisions :

L'ensemble de la flotte est sous les ordres du vice-amiral d'escadre Gensoul, qui se trouve à bord du Dunkerque.

Si les deux premières unités sont flambant neuves, elles ne sont en revanche pas encore au point : les quelques mois d'utilisation depuis le début des hostilités, sans combats, ont mis en évidence certains défauts (et ce n'est en soit pas une surprise, les nouveaux navires étant rarement opérationnels dès leur sortie des chantiers) : mauvaise tenue à la mer par gros temps, artillerie pas au point (maladie chronique de la marine française à cette époque) . Ces problèmes doivent être résolus prochainement,  mais les conditions ne l'ont pas encore permis.

Quant aux secondes unités, la Bretagne et la Provence, il s'agit de cuirassés entrés en service au cours du précédent conflit mondial. Déja périmées à leur entrée en service, elles ont subit plusieurs refontes et modernisations (4 exactement) pour augmenter leur valeur militaire. Ainsi, même si leur artillerie est précise et performante, leur protection désuette et leur faible vitesse les rendent très peu aptes au combat contre des navires modernes du même type.

Cette escadre conséquente a été rassemblée ici fin mai devant l'iminence de l'entrée en guerre de l'Italie : le partage des tâches avec l'allié britannique faisant que la France avait comme en 1914 un rôle important à jouer en Méditérannée.

D'après les témoignages, l'état-major français était quelque peu impatient d'en découdre avec la Regia Marina, les deux marines se livrant une course aux armements depuis 10 à 15 ans, et le rassemblement d'une partie des forces basées en Atlantique ajoutées à celles déja présentes en Méditérannée présageait un engagement iminent. En fait, la marine française "préparait un Jutland" contre son homologue italienne, et cette armée française est bien préparée et disciplinée (en contraste avec l'armée de terre), attendant son heure. Mais en réalité, il ne se passera pas grand chose avec la signature rapide de l'armistice : l'opération de bombardement Vado, menée sur les côtes de Ligurie par des croiseurs venus de Toulon, et le bombardement d'installations italiennes en Lybie, par une escadre britannique dans laquelle était intégré le cuirassé Lorraine. Tous les autres plans offensifs - soulignons-le - préparés par l'état-major français tombèrent dans l'oubli.

2- La flotte française prise au piège

Le 3 juillet au matin, une escadre de navires britanniques apparaît à l'horizon. A la surprise de les voir passer si près des côtes, succède rapidement un mélange d'excitation et de suspens dans les rangs des marins français : les anglais viendraient les chercher pour continuer la lutte. Mais au fur et à mesure que le temps s'égrène, la situation devient inquiétante pour les non informés : rappel des personnels à bord, procédures et définition des ordres d'appareillage, puis l'alarme du branle-bas de combat qui résonne dans tout le port. Que s'est-il passé?

En Angleterre, contrairement à ce qu'a laissé entendre la belle histoire des vainqueurs, l'ambiance est des plus morose. Les témoignages des londoniens de l'époque, mentionnent des citoyens avec le moral dans les chaussettes, très pessimistes quant à l'avenir. On est encore loin du modèle de l'anglais près à tout pour se battre jusqu'au bout...

En fait si, il y en a un : Winston Churchill. Le premier ministre est cependant en ballotage défavorable, car là encore, contrairement à l'histoire véhiculée après-guerre, une partie du gouvernement britannique est prête à négocier avec les nazis. Hors de question pour Churchill. Quelques jours plus tard, toute l'Angleterre se joindra derrière lui, unie et déterminée. Entre-temps, il y avait eu l'opération Catapult. La destinée tient parfois à peu de choses, on se souvient de Clemenceau revigorant la nation chancellante devant l'usure de la guerre, sauf que lui n'eut pas à faire bombarder ses alliés pour montrer sa détermination.

Pour comprendre comment un contexte aussi dramatique a pu être mis en place, il faut lister un ensemble de faits qui combinés vont amener au drame.

Les anglais, déjà effrayés par leur situation, voit en plus leur ancien allié non seulement baisser la tête mais aller au devant de l'ennemi sans concessions. Face à ce contexte désastreux, le pays commence à perdre son sang-froid caractéristique. Il ne manque qu'une étincelle pour faire exploser la situation. Et elle viendra donc par un politicien : Winston Churchill.

Churchill veut faire d'une pierre deux coups : il veut montrer à ses députés, à sa nation, et au monde entier que l'Angleterre ne cèdera pas et se battra jusqu'à son dernier souffle, et la situation lui en donne l'opportunité. De plus, les anglais qui ne font plus confiance aux français n'ont que faire des déclarations sur l'honneur des amiraux français qui affirment qu'ils ne laisseront pas les forces de l'Axe toucher à la flotte française. Même si l'Histoire leur donnera raison, l'honneur des français ne vaut plus grand chose à ce moment là, et les anglais ont peur. Le premier ministre britannique veut négocier, un peu, avec les français.

Mais plutôt que de favoriser cette méthode, il fait saisir les navires français ancrés en Angleterre (au prix de 4 morts, trois anglais et un français), et donne l'ordre à l'amiral Cuningham à Alexandrie de détruire les navires français situés dans le port si ceux-ci ne se rendent pas. La-bas, des gentlemens négocieront et trouveront un accord sans qu'une seule goutte de sang ne soit versée, en dépit de la pression de Churchill. Cependant, à Mers-El-Kébir, les choses ne seront pas aussi simples. Peu importe que la flotte soit à des milliers de kilomètres de ports sous la menace de l'Axe, Churchill donnera l'ordre à l'Amiral Sommerville, commandant l'escadre britannique, de lancer un utltimatum aux français. Parmi les propositions on trouvait :

Voyant que les négociations traînent*, voulant peut être tirer profit de cette situation pour son funeste - mais peut être nécessaire - jeu politique et ayant intercepté un message des forces françaises donnant l'ordre à leurs unités d'envoyer des renforts à Mers-El-Kébir, Churchill n'attend pas la fin des négociations, et fait bombarder la flotte. Le massacre durera un gros quart d'heure, auquel il faudra ajouter un second acte trois jours plus tard. Bilan : 1297 morts (et 350 bléssés) côté français, contre 2 morts côté britannique (des aviateurs).

*Il faut dire que l'Etat de Vichy n'était pas encore un Etat (le fut-il un jour?) : il n'y avait rien de prêt pour recevoir des ministères dans la cité thermale. Ainsi, les amiraux français sont soit en plein déménagement, soit, oui, en congés, comme Darlan, et donc difficilement joignables. L'Amiral commandant la flotte à Mers-El-Kébir sera bien esseulé. Cet élément s'ajoute encore à un contexte déjà très défavorable. 

Le drame et l'ampleur du nombre de victimes suscitèrent de nombreuses réactions d'indignation même en Grande-Bretagne, mais appuyé de son célèbre discours "... nous nous battrons sur les plages, dans les rues [...] nous ne nous rendrons jamais...", Churchill réussi à envoyer un message au monde entier : l'Angleterre ne cédera pas, et toute la nation se fédèrera derrière lui.

Qu'avait fait l'état-major français dans tout cela?

L'Amiral Gensoul, commandant l'escadre française, héritait d'une situation peu envieuse :

A cela, Gensoul :

Rien, d'un côté comme de l'autre, n'a donc été fait pour éviter ce désastre.

Cette image, de source inconnue, montre la situation des navires français dans une zone étroite, gênés notamment par le vieux fort. Les 4 cuirassés sont, de gauche à droite :

L'adversaire anglais attaqua de l'ouest, donc à gauche de la photo, à une distance variant, selon les sources, de 12 à 16km.

Une autre image, de source inconnue également, nous montre encore plus à quel point les navires français étaient groupés. Au premier plan la Bretagne :

3- Les dégâts subits par les navires français

Nous en arrivons donc au coeur de cet article : les dégâts subits par les navires français à Mers-El-Kébir. 8 navires sont concernées, et seront étudiés dans cet ordre :

A- Le cuirassé Strasbourg

Second dans la liste d'appareillage, le Strasbourg est le premier dans la liste des miraculés. Libre de ses manoeuvres (voir le Dunkerque plus loin dans cet article), le commandant Collinet fait larguer les amarres et ordonne machines arrière à babord et machines avant à tribord pour manoeuvrer sans l'aide de remorqueurs. Alors qu'il quitte le quai, il est sous la pluie de morceaux de bétons de la jetée, touchée à la seconde salve britannique, puis à la suivante sous une pluie de morceaux de la Bretagne tout juste touchée dans une soute à munitions. Enfin, un obus de 381mm tombe exactement où se trouvait son arrière 1 minute plus tôt.

Les dégâts du Strasbourg, outre le pont et la coque criblés de petits impacts(1), se limitent à un morceau de béton qui s'est logé dans le capot de la cheminée, bloquant un tuyau d'échappement, empêchant la ventilation de la chaufferie N°2. Quand à 20H25, la nuit tombée, on éteignit la chaufferie concernée, réduisant la vitesse à 20 noeuds, et que l'on ouvrit les portes blindées isolant cette dernière, on y trouvera le personnel inconscient, dont 5 morts, étouffés par la chaleur et les fumées toxiques. La réparation sera faite rapidement et une heure plus tard, on remis en service la chaufferie et le navire pu à nouveau se remettre machines en avant toute.

A noter pour encore ajouter une ligne au miracle du Strasbourg : c'est que le commandant a fait sortir le navire du port en ayant confiance de ne pas déclencher les mines magnétiques larguées quelques heures plus tôt(2) par les avions britanniques. En effet, le cuirassé avait été équipé d'un câble pour démagnétiser la coque. Cependant, de retour à Toulon, le navire passa au bassin pour évaluation des dégâts : à la stupéfaction du personnel, on découvrit alors que les polarités avaient été inversées, rendant le dispositif inactif.

(1) : 4 petits trous dans la coque au dessus de la ligne de flottaison dans la partie non blindée à l'arrière du bâtiment, et deux petites déformations de la coque au milieu (tranche M).

(2)Sans être menacé par la DCA française : l'amiral Gensoul, se croyant à Fontenoy, pensa peut-être "Messieurs les anglais, tirez les premiers".

B - Le cuirassé Dunkerque

Le navire amiral, qui devait sortir le premier du port. Les choses ne passeront pas ainsi : en effet, gêné par la présence de l'amiral Gensoul et de son staff à bord - qui interferait avec le commandement du navire -, et parce qu'une partie du personnel chargé de larguer les amarres était partie à son poste de combat ou se mettre à l'abri suite au début des tirs, le navire était encore à quai au début de l'action.

Le Dunkerque a été touché à 4 reprises, 4 coups directs, par des obus de 381mm. L'image ci-dessous représente une maquette du navire (photo trouvée sur steelnavy.com)  sur laquelle j'ai rajouté, dans l'ordre, les coups reçus :

1- Impact sur la tourelle avant (tourelle II) de 330mm

L'obus a touché cette tourelle alors qu'elle était en fonction (tournée à environ 100 degrés à tribord) et avait déja tiré vers l'escadre britannique. L'obus a atteint la tourelle au dessus du canon N°8, celui le plus à droite de la tourelle, à un angle d'environ 20 degrés. Il a enfoncé le blindage mais n'a pas explosé. Deux fragments sont alors partis chacun dans une direction opposée : le premier à continué sa route dans la même direction, allant toucher la Provence (voir plus bas dans cette page), alors que le reste, l'obus presque entier, est allé atterir sans exploser 2 kilomètres plus loin, à terre, à environ 150 mètres au dessus du village de Sainte-Clothilde.

La plaque de blindage enfoncée est passée à travers le plancher de la tourelle, entre les canons 7 et 8, pour atterir dans la chambre de chargement, où elle entrainera l'explosion deux charges qui étaient en cours de chargement vers la tourelle. Les fumées de l'incendie asphyxièrent les personnels de chargement et ceux servant dans la partie droite de la tourelle. En effet, les cuirassés de type Dunkerque ainsi que leurs successeurs à tourelles quadruple avaient une cloison blindée pour séparer la tourelle en deux (qui étaient en fait deux tourelles en une), afin que des dégâts d'un côté ne mettent hors service l'ensemble de la tourelle. Ce système a fonctionné puisque malgré l'impact et l'incendie, la tourelle gauche était encors en service.

Concernant son fonctionnement, le rapport stipule que tout était utilisable, à l'exception du canon N°8, qui selon le rapport, pouvait être découplé sans problème. En cas de poursuite du combat, 3 canons sur les 4 qui composaient la tourelle était donc utilisables.

Ci-dessous une photo montrant l'impact de cet obus sur la tourelle II de 330mm. On remarque l'appareil optique, qui se trouvait sur le côté tribord de cette tourelle.

 

Enfin, un schéma de l'impact :

2- Impact dans la hangar à hydravions

Avant le combat, hydravions (et carburants pour ces derniers, stockés à l'extrême arrière du bateau) avaient été débarqués afin de réduire le risque d'incendie. Ainsi, lorsque le second obus qui touche le Dunkerque passe à travers le hangar d'aviation, il ne rencontre rien.

Il traverse le pont en ressortant du cuirassé sans exploser. Néanmois, il a au passage sectionné un cable d'alimentation du gouvernail. Du coup, on a du allumé un moteur de secours pour que le navie puisse continuer à manoeuvrer. Ci-dessous, photos des dégâts, prise dans un documentaire, et schémas provenant des plans officiels du navire :

 

Cette image provient du site ALABORDACHE

3- Impact au milieu

Si les deux premiers impacts n'ont pas fait beaucoup de dégâts au navire amiral, ce n'est pas le cas deux suivants qui auront des effets dévastateurs. Le troisième obus touche le navire au centre, et passe à travers la ceinture cuirassée. Pour rappel, cette dernière, épaisse de 225mm, a été conçue pour résister à des obus de 280mm des cuirassés allemands, et pas aux 381mm des cuirassés britanniques.

L'obus traverse donc la ceinture sans exploser, passe à travers la chambre de distribution de la tourelle de 130 mm latérale tribord, arrachant le chariot de chargement et provoquant l'explosion d'au moins deux obus en cours de chargement vers la tourelle. L'obus anglais continue sa route dans la pièce voisine, un magasin de matériel médical, où il explose. L'explosion est dévastatrice : elle souffle plusieurs cloisons légères atteignant les générateurs du système de ventilation des machines du navire, coupant le système, et rendant hors service le disjoncteur principal du navire (sic). L'explosion a également perforé les canaux de ventilation de la salle des machines avant: ceci combiné à l'absence de ventilation font que de la fumée épaisse envahie l'espace, ce qui asphyxiera plusieurs hommes, seule une douzaine parviendra à s'échapper par des échelles de secours. Les autres furent bloqués par des portes inouvrables à cause de l'absence d'électricité et la panne hydraulique (voir plus loin dans l'article) ou bloquées par des débris.

L'image ci-dessous montre le trajet de l'obus. En A, la tourelle II de 330mm. En (1), la chambre de distribution de la tourelle de 130mm, et en (2) le magasin de matériel médical. Juste derrière lui, le local de ventilation des machines latérales.

 

Vue de la tranche :

A noter que la liste des dégâts s'allongea au fil de la soirée : plusieurs explosions localisées se produisirent. Une examen des dégâts montra que 5 ou 6 obus de 130 mm avait explosé causant des dommages encore plus importants, détruisant des cablages électriques et provoquant un incendie assez important qui se propagea rapidement. Les soutes de la tourelle, dans la section H, durent être noyées une heure après la fin de l'engagement, et les portes de sécurité fermées. Au final, cette section du navire était intacte depuis l'extérieur, mais dévastée à l'intérieur.

Cet obus a lui tout seul a réussi à rendre inopérable la salle des machines avant, actionnant les machines latérales, et à priver le navire d'électricité. Le quatrième et dernier obus, allait lui aussi faire mal au grand navire. Comme vous pouvez le constater sur la photo de la maquette en haut de cette section, il a touché le cuirassé un peu en arrière de l'obus précédant, mais plus bas, au ras du niveau de la mer. Sa course est également impressionnante...

Il est lui aussi passé à travers la ceinture blindée, puis à travers la partie inclinée du pont blindé inférieur, puis à travers le réservoir de mazout, puis à travers le tunnel de câble du navire, y sectionnant nombre d'entre-eux, pour finir sa course et exploser dans la chaufferie N°2. Là, il endommagea le colleteur de vapeur N°1 qui connectait la chaudière 21 avec le groupe avant (chaufferie N°1) et turbine latérales, puis frappa le collecteur N°2 et l'échappement des auxiliaires. Ce qui restait du projectile, entre 300 et 400 kilos d'acier, fini sa course sur le casier qui contenait la chaudière.

Du mazout commença à envahir la chaufferie, alors que la vapeur brûlante des chaudières 11, 12 et 21 s'échappait dans la pièce. Le personnel tenta alors de juguler cela en augmentant la température des chaudières. C'est alors qu'une nouvelle catastrophe se produit : soumise rapidement à une énorme pression, l'échappement de la chaudière N°2 explosa, tuant ou blessant gravement tout le personnel. Ce dernier ne put donc éteindre la chaudière et les incendies, ce qui fit que des gaz brûlant et irrespirables ainsi que de la vapeur brûlante elle-aussi passèrent, via le système de ventilation, au dessus dans le local de contrôle hydraulique du navire, y asphyxiant ou tuant tout le personnel s'y trouvant. A cela, la panne du système hydraulique fit qu'aucune des portes blindées du navire ne put être opérée manuellement.

La déficiance du système de ventilation fit que l'air dans la chaufferie N°3 devint irrespirable et le personnel dut l'évacuer. Cependant, aucun dégâts dans celle-ci, pas plus qu'à la chaudière N°22. Ce quatrième obus, combiné au troisième juste avant, fit qu'en quelques instants le navire était devenu inopérable, ne laissant qu'une seule alternative : l'échouage, ce qui fut fait par des fonds de 10 mètres en face du village de Saint-André. Afin de compenser la gîte entraînée par l'entrée de 700 tonnes d'eau à tribord, 150 durent être pompées à babord dans le système d'équilibrage.

Ci-dessous, une vue de dessus et en coupe montre la trajectoire de l'obus. En (1), la salle de contrôle du système hydraulique.

Néanmoins, il convient de noter que malgré le fait d'avoir été mis hors service rapidement, le Dunkerque était peu endommagé. Cinq de ses chaudières étaient utilisables, les turbines intactes, et les câblages électriques réparables rapidement. Malgré le nombre de victimes, Gensoul espérait pouvoir quitter le port rapidement pour des réparations complètes à Toulon. Le sort en décidera autrement.

D'un autre côté, on peu aussi se dire que le Dunkerque a été relativement chanceux : les deux obus qui ont perforé la ceinture blindée pour exploser à l'intérieur, montrent qu'un impact similaire au niveau d'une soute de l'artillerie principale aurait détruit le navire. De plus, si le Dunkerque avait subit les dégâts qu'il a subit, en étant en mer, il aurait certainement fini au fond de la Méditérannée.

C - Le cuirassé Provence

Documentation de base pour ce travail : le rapport se trouvant dans la monographie "Les cuirassés français de 23500 tonnes" de Jean Moulin.

La Provence devait appareiller en troisième postion après le Strasbourg (certaines sources mentionnent en seconde postion après le Dunkerque), mais ce dernier rapidement touché et maoeuvrant lentement, le commandant du Provence décida d'accélerer les choses pour manoeuvrer son bâtiment qui pu ainsi quitter le quai. Les dégâts qu'il subira rapidement feront qu'il ne pourra quitter le port, et devra être échoué dans la soirée pour éviter sa perte. Son équipage sera finalement évacué durant la nuit.

Pour plus de détails concernant la Provence à Mers-El-Kébir, je vous invite à lire le chapitre sur la Provence durant la seconde guerre mondiale que j'ai écrit sur Wikipédia.

D'après le rapport, le navire fut atteint à trois reprise.

1- Impact sur le télémètrede l'artillerie principale

Tout d'abord, l'obus qui a touché la tourelle II du Dunkerque (voir plus haut), a envoyé plusieurs éclats malgré sa non explosion. L'un d'entre-eux (une fausse ogive presque entière) a frappé le télémètre principal de la Provence. La navire était alors en train d'essayer de régler son tir, alors trop court, en direction de l'agresseur. L'impact sectionna la jambe de l'officier de tir, le lieutenant de vaisseau Cherriere, que ses hommes essayèrent de sauver vainement. Il a eu juste le temps d'appeler le PC de tir pour leur demander de prendre la suite, avant de mourir. L'impact a endommagé les appareils, et cela conjugué à la fumée environnante, aux gerbes d'eau dans le port, au Dunkerque qui gênait, le télémètre pu juste faire partir une nouvelle salve avant de cesser son activité. Celle-ci aurait pu être reprise par celui placé sur le tourelle II de 340, mais les évènements n'ont certainement pas pu le permettre étant donné que la Provence ne tira plus.

2 - Impact sur un des canons de la tourelle III de 340 

D'origine inconnue, un impact - probablement un éclat d'obus - a touché le canon tribord de la tourelle III de 340. La déformation de la chemise dudit canon le rendit inutilisable. Cependant, cette tourelle n'a jamais été en mesure de tirer, gênée par la tour avant du Dunkerque. Ci-dessous la photo de la bouche du canon en question (source : http://forgalus.free.fr/  - je vous invite à visiter ce site qui regorge de belles photos)

Ci-dessous : photo très celèbre et largement diffusée. Prise du Dunkerque, on voit la Provence qui attend son heure pour quitter le quai, le Strasbourg qui vient de le faire, et au fond la Bretagne déja sévèrement touchée.

Légende :

  1. Le télémètre principal de 340, touché par l'éclat de l'obus qui a touché le Dunkerque
  2. Le télémètre du blockhaus de conduite des opérations
  3. Le télémètre de 340 se trouvant sur la tourelle II de 340
  4. La tourelle III de 340, dont un des canons a subit un choc déformant sa bouche. Il s'agit de celui à gauche de la tourelle sur cette photo.

3 - Impact à l'arrière

Nous en arrivons à l'élément qui influera de manière très importante sur la destinée de la Provence. D'après le rapport, un obus de 381mm a touché le navire à tribord à l'arrière, à 1,70 mètre au dessus du pont blindé. Il est rentré dans une chambre d'officier, y démarrant un incendie, a continué son chemin en traversant le pont blindé (plancher de la chambre) pour atterrir dans une soute à voile pour y exploser, sans créer d'incendie cette fois. Il décollera une plaque de blindage à cet endroit, créant une ouverture dans le flanc du cuirassé. Sur son chemin, dans la coursive, il avait au passage sectionné une conduite d'un collecteur de vapeur alimentant le moteur du  "treuil arrière".

Cela peut paraître sans gravité, mais la fumée de l'incendie et la vapeur très dense feront que l'équipe de sécurité ne pourra intervenir rapidement (malgré une tentative d'isoler le collecteur de vapeur), faisant monter la température dans la zone, chauffant la cloison de la soute à munitions de la tourelle V de 340mm, puis celle de la tourelle IV. Les soutes devront finalement être noyées.

Quand les britanniques eurent suspendu leur tir, le navire avait réussi a quitter le quai, et reçu l'ordre de mouiller. Cependant, la lutte contre l'incendie dura jusque dans la soirée, mais entre-temps, avec la poupe enfoncée, l'eau rentrant par l'ouverture créée par l'obus à bâbord, il fut décidé d'échouer le cuirassé, de fermer les portes étanches. (Pour plus de détails, je vous renvois à l'article Wikipédia cité plus-haut).

Bien, avec l'aide des plans d'origine du navire, analysons ce qu'il a pu se passer.

Voici d'abord deux vues, une de dessus, et une tribôrd du navire. On y voit en (1) les plaques de blindage de la ceinture cuirassée du navire. Les cuirassés construits à cette période avaient une ceinture qui les protégeait pratiquement sur toute leur longueur (sur les 3 cuirassés de type Bretagne, dont la Provence faisait partie, la partie la plus à l'avant fut retirée lors d'une refonte pour alléger le nez de ces navires, trop lourd et surtout trop court). Cette pratique sera abandonnée après la guerre, donnant naissance au principe du cuirassé "tout ou rien", essentiellement basé sur une citadelle blindée. Enfin, en (2), le cabestant arrière, très certainement le "treuil" mentionné dans le rapport.

Maintenant, toujours une vue tribord, avec les noms des ponts :

  1. Le premier pont
  2. Le pont principal
  3. Le premier faux-pont

Et encore en dessous, absent sur le dessin, le deuxième faux-pont.

Maintenant partons du pont principal. La partie arrière de cette zone est majoritairement composée de locaux pour les officiers (en bleu). En rouge, la barbette de la tourelle V de 340mm. 

Sur le premier faux-pont, en bleu, la soute à voile, là où l'obus à donc explosé. En jaune, le moteur du cabestan, et en vert, la zone de chargement des tourelles de 340mm. En rouge, toujours la barbette de la tourelle V. Enfin en orange le panneau de contrôle pour le noyage des soutes. On a donc une idée de la trajectoire, vue de dessus, qu'a pris l'obus.

Allons encore en dessous : le deuxième faux-pont. En jaune : la dynamo alimentant le moteur du cabestan. On peut supposer que c'est cette dynamo qui a été arrêtée suite à l'invasion de l'eau, selon le rapport. En bleu : la paroi de la soute à munitions de 340mm. On comprend donc facilement que la situation était délicate et que la Provence aurait pu subir le même sort que son jumeau la Bretagne (voir plus bas).

Pour terminer, une vue transversale au niveau du couple 21 nous montrant une trajectoire possible de l'obus fautif :

  1. Impact au niveau d'une chambre d'officier, dans une zone non protégée par le blindage, début de l'incendie
  2. Sectionnement de la conduite de vapeur? (Le moteur du cabestan est juste en dessous)
  3. Explosion dans la soute à voile
  4. Plaque de blindage décollée

En regardant à nouveau un documentaire sur la tragédie, visible sur Youtube, j'ai réussi à extraire cette image. La scène représente la Provence vue du Dunkerque, après le départ du Strasbourg et la disparition de la Bretagne. Au fond, le Commandant-Teste. Sur la Provence, le gros point noir au bout de la flèche est le point d'entrée de l'obus.

Vous remarquerez la vapeur s'échappant de l'arrière, à cause de la conduite sectionnée.

La suite ici


Cet article vous a plu? Découvrez d'autres articles :


comments powered by Disqus